Page:Rolland Le Théâtre du peuple.djvu/174

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
documents

jestueux peignait à la fois et l’élan de l’ivresse reconnaissante, et le calme serein de la conscience publique, ces voiles humides, ces nuages que les zéphirs, en jouant, balançaient sur nos têtes, entr’ouvraient de temps en temps aux rayons du soleil, comme s’ils eussent voulu le rendre témoin des plus beaux moments de la fête ; enfin, l’hymne de la victoire, l’union du peuple et de ses représentants, tous les bras élevés, tendus vers le ciel, jurant devant le soleil les vertus et la République.

C’était là l’Éternel, la nature dans toute sa magnificence, toute la fête de l’Être Suprême.

Ce n’est que dans ces souvenirs qu’on peut retrouver les impressions profondes dont nos cœurs furent émus : les chercher autre part, c’est les affaiblir ; rapporter sur la scène ce spectacle sublime, c’est le parodier.

Ainsi, le premier qui imagina de faire jouer de telles fêtes, dégrada leur majesté, détruisit leur effet, et éleva le signal du fédéralisme dans la religion du peuple français et du genre humain ; car s’il est permis de concentrer dans une salle, de travestir sur un théâtre les fêtes du peuple, qui ne voit que ces mascarades deviendront de préférence les fêtes de la bonne compagnie, qu’elles prépareront à de certaines gens le plaisir de s’isoler, d’échapper au mouvement national ? Les fêtes du peuple sont les vertus : elles sont générales, et ne se célèbrent qu’en masse.

Quel encens enfin à offrir à l’Éternel, que ces productions bizarres, ces chants rauques d’une foule d’auteurs nouveau-nés, que la liberté n’inspira jamais.

Ce serait ici le lieu de tracer aux auteurs le plan des spectacles nationaux et dignes d’un peuple libre, si ce tableau ne faisait pas partie d’un travail plus large, qui doit régénérer la scène républicaine : contentons-nous d’observer, surtout aux jeunes littérateurs, que la route de l’immortalité est pénible ; que si un despote ne souffrit pas que des crayons vulgaires défigurassent ses traits, la liberté aussi ne se reconnaît que sous les pinceaux d’Apelle ; que, pour offrir au peuple français des ouvrages impérissables comme sa gloire, il faut se défier d’une fécondité stérile, d’un succès non acheté, qui tue le talent,

170