Page:Rolland Le Théâtre du peuple.djvu/29

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
LA TRAGÉDIE CLASSIQUE

y trouver une histoire exactement semblable, dont les héros étaient un boucher, sa femme, leur garçon et une mercière. Il l’a racontée, et a conclu : « Je viens de vous exposer le sujet d’Andromaque. »[1]

Maintenant je comprends le succès d’Andromaque. Vous avez offert au peuple un feuilleton du Petit Journal ! — Mais croyez-vous sincèrement que ce soit là Andromaque ? Est-ce là ce « fondu de la couleur », cette « élégance de Racine », etc., etc. ? Comment ne voyez-vous pas que dans l’art de Racine, le sujet n’est presque rien, que l’analyse des âmes, que l’expression est tout, et que quand vous soulignez d’un trait grossier le sujet, le mélodrame, vous ne faites pas applaudir Racine, vous le tournez en dérision !

M. Faguet l’a bien senti, et dans une de ses pages les plus dégagées de tout esprit d’école, il a montré ironiquement ce que la foule voyait dans le chef-d’œuvre de Racine. — M. Faguet n’est certes point l’ami du Théâtre du peuple ; il prouve fréquemment à ses lecteurs du Journal des Débats, — qui ne demandent qu’à en être convaincus, — que le théâtre du peuple ne peut pas exister ; car il n’a pas existé jusqu’à présent :[2] — étant admis d’avance qu’il n’y a jamais de progrès, et que tout est toujours le même, — ce qui est bien commode. M. Faguet est trop spirituel, pour qu’on entreprenne de discuter avec lui une assertion dont il sait mieux que personne l’exacte valeur ; et toute la vengeance que j’en veux tirer, c’est de me servir de son ironie même, quand elle s’exerce à notre profit.

  1. Le Temps, même article.
  2. Journal des Débats, 20 juillet 1903.
25