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LA TRAGÉDIE CLASSIQUE

cussion d’Hippolyte avec Thésée, au quatrième acte, et à celle du récit de Théramène. — Pour Athalie, c’était bien autre chose. L’effet produit par Athalie était un effet d’étonnement, et rien autre. Le public populaire était étonné, et puis il était encore étonné, et ce fut cela jusqu’à la fin inclusivement. Et cela est naturel. Que faisait le public populaire à toute cette représentation d’Athalie ? Et que vouliez-vous qu’il fît ? Il cherchait le personnage sympathique, et naturellement il ne le trouvait pas. Racine ayant négligé ou dédaigné de l’y mettre. Il se disait : « Bon ! Joad est une vieille canaille, très forte du reste ; Athalie est une vieille canaille, qui devient gaga ; Abner est un pur et simple imbécile. Mais celui à qui l’on veut que je m’intéresse, où est-il ? Quand sortira-t-il de la coulisse ? Je l’attends pour m’émouvoir. » — Le public populaire l’a attendu jusqu’à la fin du cinquième acte ; et du reste, qu’Athalie fût égorgée, Joad vainqueur, et Joas couronné, cela lui était bien égal. Moi-même… Parfaitement !… J’étais devenu un peu peuple par communication, et j’en arrivai peu à peu à cette impression : « Elle est admirable, cette pièce ; mais admirable et intéressante sont deux choses extrêmement différentes ; et pour ce qui est de l’intérêt dramatique, ils ont raison : ce n’est pas une pièce intéressante. »[1]

Je prie qu’on note ces dernières lignes, si lucides et si libres. Elles sont vraies, non seulement d’Athalie, mais d’une bonne partie des chefs-d’œuvre classiques. Que le théâtre de Racine ne soit pas populaire, c’est un fait que ne prouve ni contre le peuple, ni contre Racine.

  1. Journal des Débats, même article.
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