Page:Rolland Le Théâtre du peuple.djvu/34

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
le théâtre du passé

s’appuie moins sur l’observation de la nature, elle est plus subjective, plus individuelle ; elle reçoit davantage l’empreinte du poète, du temps, de la nation. L’imagination poétique se nourrit de l’atmosphère du siècle, de l’ensemble d’habitudes populaires ou mondaines où l’auteur a vécu. Rien n’est dépaysé plus promptement qu’une métaphore poétique, quand le poète a vécu de la vie de cour, ou de salons, dont le mobilier intellectuel se renouvelle tous les dix, vingt, ou trente ans. Aussi ces images deviennent souvent presque incompréhensibles, sauf à une faible élite de raffinés, qui trouvent un charme de plus à ce qu’elles ont de rare, de surprenant pour le goût, soit qu’elles brûlent de façon étrange, comme les métaphores de Shakespeare, soit qu’elles aient pris des teintes délicates et passées, un peu vieillottes, comme les images classiques. — En dehors de ces causes générales d’usure, le style de Corneille est particulièrement obscur. Sauf aux points culminants de l’action, il est abstrait, embrouillé, souvent impropre, parfois inintelligible ; on raillait déjà de son temps le galimatias cornélien. Je veux bien qu’il ne soit pas toujours un obstacle à l’admiration du peuple, qui n’entend guère dans les discours que quelques mots retentissants, et l’accent de celui qui les dit. Mais c’est là une chose fâcheuse, qu’on doit reconnaître, et déplorer ; car cette stupide fascination de la parole, devant qui abdique la raison, a causé dans l’histoire des malheurs innombrables ; et le rôle d’un théâtre populaire, loin d’encourager le sommeil de l’esprit, est de le combattre résolument, en ne présentant rien au peuple qu’il ne puisse comprendre.

D’autre part, le système dramatique de Corneille est

30