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le théâtre du passé

Dumas père. Ceux-ci, race de mélos criards, de gueux à panaches, d’aventuriers hâbleurs, se sont abattus sur les théâtres des faubourgs comme une nuée de sauterelles, et ont fait le désert partout où ils ont passé. Ceux-là, moins bons garçons, avec d’orgueilleuses visées, se sont installés dans les théâtres dits des poètes, où ils ont travaillé assidûment à corrompre le goût de la bourgeoisie : ils n’y ont pas manqué. Succès facile. Le public bourgeois n’est capable de juger que d’un art réaliste moyen, étayé sur le bon sens et sur l’observation à dose modérée. Il est dépaysé dans la poésie, et ne saurait distinguer la fausse de la vraie. Il y a même quelque chance pour que la caricature lui plaise davantage, justement parce que les traits en sont plus accusés. Quand il fut amené par les exigences du snobisme à la nécessité de sembler comprendre cette langue qui lui était étrangère, il alla droit aux charlatans et il en fut la dupe. La critique, qui devait l’en défendre, abdiqua en masse, par lâcheté devant la mode, par indifférence, par dilettantisme, par manque de foi dans la raison ; l’absurde eut tout le loisir de s’étaler au théâtre, où il ne manqua point d’illustres interprètes. On peut dire qu’une de ces interprètes eut même l’influence décisive, non seulement sur le succès, mais sur la formation de cet art ; et c’est son nom, — le nom de Sarah Bernhardt, — qui convient le mieux à caractériser ce néo-romantisme byzantinisé, — ou américanisé, — raidi, figé, sans jeunesse, sans vigueur, surchargé d’ornements, de bijoux vrais ou faux, morne sous son fracas, blafard dans son éclat.

Dans ces dernières années, M. Rostand a ramené délibérément le théâtre au romantisme de Hugo et de

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