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le théâtre du passé

sant et lourd, où règne l’honnête génie de la bourgeoisie héroïque de la Révolution, c’est une pièce excellemment populaire dans les pays allemands. J’en ai eu la preuve, à diverses reprises, par les représentations d’Altorf : les rôles y sont tenus par la bourgeoisie et le peuple du canton ; le public tout entier concourt au spectacle, participe à l’action, fait écho aux paroles de liberté. Je croirais volontiers que l’art populaire n’a pas créé de plus grande figure que celle de Tell, hercule allemand, athlète rêveur, aux résolutions lentes, à l’énorme force silencieuse, où dorment les pensées et les émotions comme en un lac majestueux, dont les vents ont peine à rider la pesante masse, mais qui, une fois soulevé, est pareil à la mer. — Mais ce qu’il y a dans l’œuvre d’essentiellement germanique, le flegme, la froideur dissertante, la sentimentalité, la naïveté romanesque, n’échapperait pas sans doute aux ciseaux de nos arrangeurs. Et que resterait-il de la pièce ? — Quant aux autres drames de Schiller, je vois mal leur emploi sur une scène française.

Plus près de nous, quelques hommes ont tâché d’écrire directement pour le peuple : en Autriche, Raimund, Anzengruber ; en Russie, Tolstoy et Gorki ; Hauptmann en Allemagne.[1] Mais de ceux-ci, des œuvres comme les Tisserands ou la Puissance des Ténèbres, sont de longs cris de misère, ou de lugubres récits, dont la menace et

  1. Nous ne parlons pas d’Ibsen, qui, malgré de beaux poèmes populaires, comme Terje Vigen, est le plus aristocratique des penseurs, et dont l’Ennemi du peuple n’a pu devenir… l’ami du peuple, que par la plus ironique des méprises et l’aveuglement de l’esprit de parti.

    On nous dit qu’un autre grand poète aristocrate, Gabriele d’Annunzio, travaille, en ce moment même, à une pièce populaire.

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