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le théâtre nouveau

nation s’était jeté dans la mêlée, aux assemblées et aux armées. Qui aurait eu le dilettantisme d’écrire, quand les autres se battaient ? Il ne restait dans l’art que les lâches. — Mais quelle tristesse de penser que cette sublime tempête s’est dissipée, sans avoir laissé de traces dans aucune œuvre qui traverse les siècles !

Après cinquante ans, un homme en retrouva l’écho. Michelet, qui ne nous transmit pas seulement le récit de ces temps héroïques, mais leur âme même, parce qu’elle était en lui ; Michelet, qui écrivit l’histoire de la Révolution comme un homme de la Révolution qui l’a vraiment vécue, reprit d’instinct la tradition révolutionnaire d’un Théâtre du Peuple. Il l’exprima avec sa généreuse éloquence, dans ses leçons aux étudiants :

Tous ensemble, mettez-vous simplement à marcher devant le peuple. Donnez-lui l’enseignement souverain, qui fut toute l’éducation des glorieuses cités antiques : un théâtre vraiment du peuple. Et sur ce théâtre, montrez-lui sa propre légende, ses actes, ce qu’il a fait. Nourrissez le peuple du peuple… Le théâtre est le plus puissant moyen de l’éducation, du rapprochement des hommes ; c’est le meilleur espoir peut-être de rénovation nationale. Je parle d’un théâtre immensément populaire, d’un théâtre répondant à la pensée du peuple, qui circulerait dans les moindres villages… Ah ! que je voie donc, avant de mourir, la fraternité nationale recommencer au théâtre !… un théâtre simple et fort, que l’on joue dans les villages, où l’énergie du talent, la puissance créatrice du cœur, la jeune imagination des populations toutes neuves, nous dispensent de tant de moyens matériels, décorations prestigieuses, somptueux costumes, sans lesquels les faibles dramaturges de ce temps usé ne peuvent plus faire un pas.
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