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MONTEVERDE. 87

leté, peu commune pour l'époque, à tirer parti des ressources de l'instrumentation. On voit ce que la palette a gagné en couleurs, quand on compare l'orchestre de Péri et de Cavalliere à celui de YOrfeo (1). Et la préface de l'auteur nous montre que le musicien prend conscience du pouvoir magique des timbres qui dorment dans ses mains.

Plus encore qu'une distinction de race, une différence de na- ture l'éloigné des Florentins. Quelques postes qu'il ait remplis auprès des princes, il n'est plus un artiste de salon, un virtuose de cour, abrité du monde réel par la sécurité de sa vie et le carac- tère désintéressé, presque inutile, de ses recherches. Monteverde a vécu; il a connu la souffrance et les amertumes de la lutte; il s'est débattu contre la misère; il a été frappé dans ses affections les plus chères, et on trouve dans sa musique l'écho de ses pro- pres douleurs.

Ses plus célèbres œuvres sont de la période la plus sombre de sa vie. Quand il remporta sa première grande victoire avec Orfeo (printemps 1607, Mantoue), il était rongé de soucis (2); sa jeune

��chambre, mais de toutes sortes de services extraordinaires, « essendo che (servendo a gran prencipe) la maggior parte del tempo si trova occupato hora in Tornei, hora in Balletti, hora in Comédie, et in varii Concerti, et finalmente nello concertar le due viole bastarde... etc. » (Lettre de Giulio Cesare Monteverde, son frère. Scherzi musicali à 3 v. Venise, Amad., 1609.)

(1) Voir les principaux historiens de la musique et, en particulier, Lavoix Hist. de l'instrumentation ; ou Hist. de la musique, p. 168.

Orchestre de Monteverde, d'après les indications de YOrfeo (36 instru- ments) : 2 gravicembali, 2 contrabassi de viola, 10 viole da brazzo, 1 arpa doppia, 2 violini piccoli alla francese, 2 chitaroni, 2 organi di legno, 3 bassi di gamba, 4 tromboni, 1 regale, 2 cornetti, 3 trombe sordine, 1 flautino alla vigesima seconda, 1 clarino.

(2) Il semble voir la trace de ces préoccupations dans cette belle parti- tion, dont tant de pages ont un caractère si personnel. La sombre gravité des symphonies infernales, les cris de douleur d'Orphée (2 e acte, p. 164 de l'éd. allemande), (ces successions si hardies et d'une expression si mo- derne), son angoisse déchirante qui devine aux premiers mots la terrible nouvelle que le messager n'ose dire, et qu'il n'ose pas entendre, ramènent involontairement l'esprit aux propres inquiétudes de l'artiste. On croirait que Rinuccini a écrit à son adresse ces consolations prématurées dont Apollon caresse l'àrne meurtrie de son poète, réfugié dans son art, arraché de la terre vers les cieux immortels.

Apollo : « Troppo, troppo gioisti di tua lieta ventura; or troppo piagni tua sorte acerba e dura, ancor non sai, corne nulla qua giîi diletta e dura? Duiiquc, se goder brami immortal vita, vientene meco al ciel, ch'à se t'in- vita. »

Orfeo : « Si non vedr6 piîi mai dell' amata Euridice i dolci rai. »

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