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88 LES ORIGINES DU THÉÂTRE LYRIQUE MODERNE.

femme, Claudia, qu'il aimait tendrement, languissait depuis un an d'une maladie cruelle qui devait l'emporter au mois de sep- tembre suivant. Malgré son désespoir, il lui était défendu de s'abandonner à son cœur, et il avait dû redoubler de zèle pour les fêtes de Mantoue , qui exigeaient son concours (fêtes pour le mariage du prince héritier ; voir les lettres de Follino dans Vogel). Il s'y était jeté avec tant de fureur, qu'on put craindre un mo- ment qu'il ne se tuât de travail (1). De cette crise passionnée sortit Y Ariane (28 mai 1608, finie dès février) , l'œuvre qui fit le plus pour la gloire de Monteverde, et dont il ne reste plus que quel- ques pages, les plus douloureuses et les plus vraies qu'il ait écri- tes , et que Gluck n'a pas surpassées. Merveilleux effet du génie, dont toute la douleur concentrée dans ces pages, passa parla voix d'Ariane dans le cœur de son auditoire (plus de six mille specta- teurs), qui éclata en sanglots (2).

Presque en même temps, Monteverde écrivait le prologue et les intermèdes de YIdropica de Guarini (2 juin 1608) (3), et le Balln deW Ingrate (4 juin) (4), qui fut un triomphe pour lui. Si l'on joint à ce grand travail de composition, la fatigue des répétitions et la charge de toutes les fêtes, en sa qualité de maître de chapelle du prince, on est pris d'admiration et de pitié pour le malheureux homme (5). A peine se retrouve-t-il seul que la surexcitation

Apollo : « Nel sole e nelle stelle vageggerai le sue sembianze belle..., etc. » La grandeur de VOrfeo de Monteverde et sa tristesse antique est d'ailleurs tempérée d'une grâce mélancolique et d'un sourire délicat qui brille sur- tout dans ses danses, toujours fines et soignées.

(1) « La brevità del tempo fu cagione ch' io mi riducessi quasi alla morte nel scrivere VArianna. » (1 er mai 1627.)

« ...con farmi far una quasi impossibile fatica. » (2 décembre 1608, à Chieppio.)

« Ho avuto 1500 versi da mettere in musica. » (Idem.)

(2) « Claudio Monteverde è giunto nella musica à taie eccellenza, che non più devono parère strani quegli effetti d'armonia, i quali con molta mera- viglia leggiamo nelle carte antiche. Di qucsto trà molti altri componimenti, chiara fedc ne fà VArianna... Hà potuto trarre à viva forza dagli occhi del famoso teatro à mille à mille lagryme. » (Terzo libro délia musica di Claudio Monteverde. Milano, 1609.) Cf. lettres de Follino (Arch. Gonzaga) et préface de la Dafné de Gagliano.

(3) La musique est perdue, mais les récits en attestent le caractère saisis- sant et touchant (Lettres de Follino).

(4) Conservé dans les Madrigali Guerrieri de 1638 (partie de la Basse continue). Il a un caractère romantique , et d'une élégance un peu mélan- colique.

(5) Monteverde lui-même semble avoir attaché beaucoup d'importance aux œuvrcs_de cette époque. Il publie son ballet trente ans plus tard à Venise.

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