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170 LES ORIGINES DU THÉÂTRE LYRIQUE MODERNE.

l'action. Ce goût ne deviendra pas moins ruineux; les bons chan- teurs réclameront des appointements énormes, et il en faudra servir au public un très grand nombre à chaque soirée. Telle pièce a jusqu'à trente et quarante parties. On emploie des expé- dients; chaque acteur a deux rôles, comme dans le Palagio d'At- lante de L. Rossi.

La musique, bien supérieure à la poésie, maintient (au moins dans la première période de l'opéra vénitien) l'unité d'une œuvre qui s'émiette en une multitude de scènes, sans liens et sans logi- que. Elle imprime à l'ensemble, surtout avec Gavalli, la marque d'une personnalité sensuelle et passionnée. L'opulence de ses couleurs dédommage du dessin si pauvre des livrets. Le solo est devenu clair, précis, et expressif. De même que le récitatif floren- tin s'est formé au commencement du siècle dans les madrigaux de Vecchi et les cahiers d'esquisses de Gaccini , de même l'art vénitien trouve sa véritable forme dans les travaux delà musique de chambre et de la musique d'église. La cantate de Carissimi , dont nous parlerons tout à l'heure, est la meilleure école d'opéra.

La musique parle au peuple; elle puise dans ses chansons, ses lieder et ses barcarolles, les rythmes les plus expressifs, peut-être les mélodies. On y sent une âme jeune et violente, avide de plaisirs. Gavalli, le premier et le plus puissant des Vénitiens, nous donne l'impression d'un génie de la famille de Véronèse, en qui se reflètent le tumulte des formes , des images et des désirs de son époque, sans une intelligence profonde, sans un souffle personnel, qui les altère ou les transfigure, mais avec une fraî- cheur de sensations, et une joie franche, qui les colorent d'un éclat opulent (1).

Pier-Francesco Galetti Bruni, dit Francesco Gavalli (2) , vrai fondateur de l'Opéra vénitien, régna sans conteste à Venise pen- dant plus de trente ans , et représenta l'art italien à l'étranger, à

��(1) On trouvera d'excellentes études sur les maîtres vénitiens, et en parti- culier sur Cavalli et Cesti, dans les revues allemandes des dernières an- nées, surtout dans les écrits de M. Hugo Goldschmith et de M. Hermann Kretzschmar. J'en ai fait mon profit.

(2) Du nom de son protecteur Federigo Cavalli, podestà et capitaine de la province de Crema en 1614, qui le ramena à Venise en mars 1616, et lui fit donner son éducation musicale. (Il portait le surnom de « Il Checco de Câ (casa)-Cavalli. »)

Francesco Cavalli naquit en 1599, à Crema, où son père était maître de chapelle, et mourut le 14 janvier 1676, à Venise. Il était entré dans les chan- teurs de Saint-Marc en 1617, en était devenu second organiste en 1640, pre- mier organiste le 11 janvier 1665, et maître de chapelle le 20 novembre 16G8,

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