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194 LES ORIGINES DU THÉÂTRE LYRIQUE MODERNE.

de Ménalippe , l'amazone indomptable, qui vent mourir après la défaite, puis s'éprend de Thésée, ordonne qu'il l'aime et ne re- cule devant aucun moyen, prête à tuer Hippolyte, à laisser mou- rir Timante, à perdre Thésée même; la seule qui ose tenir tête en face à Hercule, -— sont particulièrement vivants.

Pas plus que La Stellidaura v le Schiavo n'a de chœurs. Le rôle où Provenzale a mis le plus de son âme est celui de Timante. Seul au milieu d'amis qui ne le connaissent pas, déchiré d'amour pour une femme qui a voulu le tuer, et qui le trahit, il concentre en lui toute la tristesse du drame, et Provenzale l'a pris pour in- terprète de ses propres sentiments.

On sent d'ailleurs dans toute l'œuvre une rare facilité drama- tique, une souplesse d'expression également supérieure dans le rire et dans les larmes. Les dialogues sont finement menés, avec une élégance ingénieuse. Les railleries du page et la verve du valet trouvent des formes vives et spirituelles. Certains morceaux comiques sont d'un style si délicat et si aisé qu'on les croirait de Mozart (1).

Mais la musique du Schiavo doit sa grandeur, moins à ses qualités dramatiques qu'à la puissance de l'âme de l'auteur qui transparaît au travers. Ame forte et concentrée, qui souffre et trouve une volupté chrétienne à souffrir; âme mélancolique, où passent les remords évangéliques de Bach et les appels d'angoisse d'Amfortas (2); âme calme pourtant, assurée en sa foi, que la souffrance n'altère pas, parce qu'elle la sait nécessaire, et qui la renferme en soi ; fortement appuyée sur la conscience de règles supérieures et certaines, les règles de son art, les règles de l'es- prit, les règles de la foi. Homme du dix-septième siècle avec des tristesses que nous nous attribuons, et qui furent de leur temps, mais qu'ils ne crièrent point, Provenzale a les deux côtés si originaux du caractère de Bach : les flots de mélancolie qui dorment au fond de lui, l'insouciante gaieté qui s'amuse à la sur- face : celle-ci pourtant moins enfantine, celle-là plus concentrée; moins riche d'imagination, aussi riche d'émotion; si fort et si grandiose, qu'en quelques-uns de ses airs il touche aux plus hauts sommets qu'ait atteints la tristesse héroïque de l'âme hu- maine (3). Nulle époque n'a su mieux rendre que le dix-septième

��(1) Schiavo, acte I, scène 19.

(2) Schiavo, acte III, scène 4. Air de Timante.

(3) Bien des passages rappellent Bach; par exemple, le duo qui termine le 1 er acte de Stellidaura, et semble d'une de ces cantates où le Sauveur con-

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