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L'OPÉRA EN FRANCE. 267

justesse à l'expression du cœur, comme un doux paysage, aux lignes à peine marquées, s'harmonise avec des figures aux gestes tristes, et les baigne de sa langueur.

Cent ans après, Gluck, reprenant Armide (1777), par défi de génie, ne pouvait atteindre à la grâce de certaines pages, ni à leur sobre grandeur. Plus de cent après, l'œuvre de Lully res- tait (1) comme un monument indestructible de la gloire passée, et l'Opéra français vivait sur ce grand nom. Sa cause était gagnée; sa forme ne devait plus changer jusqu'à la fin du dix-huitième siècle. Les révolutionnaires comme Rameau, ne feront que perfec- tionner sa langue sans toucher à ses lois.

Etranger acclimaté en France, Lully y avait transplanté l'art de son pays d'origine, en l'adaptant aux besoins de son pays d'adoption (2). Il avait pu donner à la France, à défaut d'un art national, un art cosmopolite ayant des caractères français. Il avait montré au monde ce dont la France était capable dans un genre qui n'était pas le sien, et sa merveilleuse faculté d'assimi- lation. Avait-il donné la mesure de notre puissance lyrique? Je ne le crois pas; et je crois plutôt que son génie a contribué à fourvoyer la musique française depuis deux siècles.

��Nous avons vu au commencement du chapitre, le peu d'apti- tude de l'esprit français à concevoir le drame lyrique, et par con-

aimablc sentiment de la nature, tel qu'on peut le concevoir au dix-septième siècle : une rêverie intelligente et voluptueuse.

(1) Bellérophon est repris 4 fois jusqu'en 1728; Isis, 3 fois jusqu'en 1732; Cadmvs, 8 fois jusqu'en 1737; Les Festes de VAmour, 5 fois jusqu'en 1738; Alys, 10 fois jusqu'en 1740; Phaèton , G fois jusqu'en 1742; Persée, 6 fois jusqu'en 1746; Roland, G fois jusqu'en 1755; Alcesle est repriso 7 fois jus- qu'en 1757; Proserpine, G fois jusqu'en 1758; Acis , 8 fois jusqu'en 17G2; Armide, 8 fois jusqu'en 1764; Amadis, 8 fois jusqu'en 1771, et Thésée, 14 fois jusqu'en 1779.

11 faut remarquer que Campraet Destouches ont débuté en 1697, Rameau en 1733, et Gluck (à Paris, avec Jphigénie en Aulide)en 1774. En 1779, lors do la dernière reprise du Thésée de Lully, Gluck avait donné à Taris, Iphigénie, Orfeo (1774), Alcesle (177G), Armide (1777), et, la même année, Iphigénie en Tauride (1779). Il est de plus assez curieux qu'à la reprise d'Acis, en 1752, Lully ait partagé le spectacle avec la Serva padrona do Pcrgolèsc.

(2) « Il a joint à la force du génie do sa nation, la politesso et les agré- ments de la nôtre. » (Perrault.) — Voir, plus haut, le Ballet de la Raillerie de Lully (1659).

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