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272 LES ORIGINES DU THÉÂTRE LYRIQUE MODERNE.

elle adoucit l'ironie; elle enlève à la parole railleuse ce qu'elle a toujours d'un peu sec; elle enrichit le spectacle de tout le luxe mondain des danses et des sons. Elle fait du théâtre comique le reflet de la vie, mais d'une vie joyeuse et élégante, ornée de tout ce que la réalité a de parures pour les sens, .et où le ridicule, la maladie, la mort même, ne sont que jeux plaisants, propres cà don- ner à l'homme le rire fort et sain.

L'art français a toujours en le caractère d'un luxe pratique. Il cherche à embellir la vie de son parfum d'élégance, mais sans la troubler jamais; il veut lui donner au contraire une vue plus nette du monde qui l'entoure, et la force héroïque et joyeuse d'agir.

Un tel idéal ne pouvait s'accommoder do la musique à la façon des Allemands, incessante rêverie repliée sur elle-même, — ou du chant italien, cri de fiévreuse passion, qui toujours s'abandonne avec la même ivresse langoureuse et lassée. La musique devait obéir à l'action, l'entourer de son charme poétique et mondain, mais n'en distraire jamais.

De là vint que même au théâtre lyrique, où l'on prit de bonne heure l'habitude d'aller s'ennuyer, ou se divertiivsuivant l'hu- meur, sans exigences littéraires ou dramatiques, il fallut cepen- dant faire deux parts bien distinctes , l'une pour l'action , si médiocre qu'elle fût, l'autre pour la musique. Ainsi naquit ce joli monstre, l'opéra comique (1), qui serait une œuvre d'art très médiocre, s'il no fallait le considérer comme un divertisse- ment sans prétention, un passe-temps de musiques et de dialo- gues , qui ne se prend au sérieux que juste assez pour éveiller d'aimables émotions, dont l'esprit jouit doucement sans jamais en être dupe.

Musset a finement senti les lois du genre, si le mot de lois

(1) Il était assurément bien dans l'esprit de la race; car qu'est-ce autre chose qu'un opéra-comique, ce Jeu de Robin et de Marion (1285), premier exemple d'union véritable de la musique à la poésie? L'une et l'autre y ont déjà leur place distincte. Marion, courtisée par le chevalier, lui rit au nez dans une chanson. Quand une phrase a uni caractère sentimental ou rail- leur bien marqué, quand un dialogue se développe en une symétrie ca- dencée, le rythme musical s'ajoute aux vers, vient de lui-même leur prêter ses petites ailes, et l'émotion fleurit en une mélodie. Mais ce passage de l'une à l'autre langue fait qu'on ne s'abandonne point à l'illusion du chant, et qu'on en goûte le charme délicat sans oublier jamais la convention d'un tel art. Si parfait qu'il puisse être, c'est toujours un jeu de société ; ce n'est pas le drame où l'on perd conscience de la vie réelle (Voir, sur ce curieux Adam de la Haie, mort vers 1288, à Naples, l'ouvrage de Coussemaker, 1878).

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