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580 LES ORIGINES DU THÉÂTRE LYRIQUE MODERNE.

ont paré de leur grâce sublime dans leurs êtres troubles et in- sexuels, il faut y voir aussi l'influence de l'emploi des castrats au théâtre (1). Les illusions des personnages étaient d'autant plus vraisemblables, que le public lui-même pouvait s'y méprendre.

Il est à peine utile d'ajouter que ces livrets insensés n'ont au- cun rapport avec les airs qu'on y introduit. Poésie et musique sont indépendantes l'une de l'autre. A vrai dire, toutes deux ten- dent de jour en jour à n'être plus qu'un prétexte à des jeux de scène et à des virtuosités.

« Avant de composer le livret d'un opéra, le poète moderne de- mandera au directeur une note détaillée lui indiquant le nombre de scènes qu'il veut avoir, afin de les intercaler toutes dans le drame. S'il doit y faire figurer des apprêts de festins, des sacri- fices, des ciels sur la terre, etc., il aura soin de s'entendre avec les machinistes pour savoir par combien d'airs, de monologues ou de dialogues il doit allonger les scènes, afin qu'ils aient toutes leurs aises pour préparer ce qui leur sera nécessaire...

» Il composera l'opéra entier sans se préoccuper de l'action, afin que le public, incapable d'en deviner l'intrigue, l'attende avec curiosité jusqu'à la fin. Le bon poète moderne s'arrangera pour que ses personnages sortent souvent sans motif; ils s'éloi- gneront l'un à la suite de l'autre après avoir chanté la canzonetta de rigueur. — Il ne s'enquerra jamais du talent des acteurs; sa préoccupation essentielle sera de savoir si le directeur n'a pas né- gligé de se pourvoir d'un bon ours, d'un bon lion, de bons rossi-

��(1) Voir le S. Alessio de Landi, 1634. Dans le Palagio d'Atlante de Luigi Rossi, Loreto Vittori joue Angélique. Dans Bidon de Cavalli, 1641, Jarbas est un castrat. De même, dans Scipione de Cavalli, 1G64, le héros est cas- trat; Sofonisbe est déguisée en homme. Dans Mutio Scœvola de Cavalli, 1665, Orazio Code est un soprano. Eliogabalo, du même, 1669, est encore plus extraordinaire : Eliogabalo, Alessandro et Cesare sont soprani ; Zenia est ténor. Ce n'est guère qu'à partir de 1671 que des femmes chantent dans les représentations musicales, à Rome. La première mention certaine qu'on en ait, est en 1673. A l'Opéra de Paris, en- 1680 (pour Proserpine), les femmes ne sont pas encore admises même au corps de ballet. C'est seulement en avril 1680, qu'elles y font leur apparition, pour le Triomphe de V Amour.

Sur cette bizarre question des « soprani », on peut consulter une curieuse apologie française du dix-septième siècle : « Eunuchi nati, facti, mystici, ex sacra et humanâ litteraturâ illustrati. Zacharias Pasqualigus puerorum emasculator ob musicam, quo loco habcndus ; responsio ad quaesitum per epistolam I. lleribcrli cameliensis, — ad illustriss. M. D. D. Plùliberturn de la Marc senatorcm Divioninsem — Diviono ap. Philibert Chavance, 1655, cum privilegio régis. » C'est un ouvrage assez volumineux (203 p.); j'en ai trouvé un exemplaire à la Bibl. Sainte-Cécile de Rome.

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