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L'OPÉRA EN ANGLETERRE. 289

chose absurde. » — 11 semble encore que l'on entende Saint - Evremond, et c'est Addison qui parle (1).

Les Anglais n'ont pas un art lyrique national. Nul peuple n'a moins produit, non seulement de compositeurs de musique, mais même de simples exécutants. C'est un fait qui surprend. On l'ex- plique d'ordinaire par ce qu'ils ne sont pas musiciens; c'est ré- pondre à la question par la question. Sans doute, la plupart des Anglais d'aujourd'hui ont l'oreille peu sensible aux délicates har- monies. Mais de ce qu'ils sont devenus, on ne saurait conclure à ce qu'ils étaient au fond. Personne n'a mieux parlé de la musique que les Anglais de la Renaissance. Shakespeare trouve des mots exquis pour peindre les émotions où le plonge la grâce d'une mé- lodie, ou le son fugitif d'un rêveur instrument (2). Tout le monde a dans la mémoire les adorables scènes du Soir des Rois, ou du Marchand de Venise. Ce ne sont pas images de rhéteur, mais jus- tes sensations qui rencontrent un écho dans tout cœur musi- cien. — Les Anglais n'ont pas seulement montré qu'ils pouvaient, mieux que personne, sentir la profondeur de l'émotion musicale; ils ont trouvé au dix-septième siècle des artistes pour la rendre, et l'apparition de Purcell, dès les premiers essais de l'opéra en Angleterre, est une preuve de ce qu'ils auraient pu faire dans la suite, — et de ce qu'ils n'ont pas fait. N'avaient-ils donc pas les qualités nécessaires à réclusion spontanée d'une langue mu-

��(1) Addison, Le Spectateur ou Le Socrate moderne, trad. franc. Amster- dam, Mortier, 1716, t. I, p. 144, 23 e discours.

(2) Le Duc : « Si la musique est l'aliment de l'amour, jouez toujours, don- nez-m'en à l'excès , que ma passion saturée en soit malade et expire. — Cette mesure encore une fois! elle avait une cadence mourante : — oh! elle a effleuré mon oreille comme le suave zéphir qui souffle sur un banc de violettes, dérobant et apportant un parfum... Assez! pas davantage!... » {Le. Soir des Rois, scène I.) — (Voir aussi scène IX du Soir des Rois.)

Lorenzo : « ... Comme le clair de lune dort doucement sur ce banc! te- nons nous y asseoir, et que les sons de la musique glissent jusqu'à nos oreilles ! Le calme, le silence et la nuit conviennent aux accents de la suave harmonie... » — (Musique).

Jessica : « Je ne suis jamais gaie quand j'entends une douce musique. »

Lorenzo : « C'est que vos esprits sont absorbés... Il n'est point d'être si brut, si dur, si furieux, dont la musique no chango pour un moment la na- ture. L'homme qui n'a pas de musique en lui et qui n'est pas ému par le concert des sons harmonieux, est propre aux trahisons, aux stratagèmes et aux rapines. Les mouvements do son âme sont mornes commo la nuit, et ses affections noires commo l'Erèbo. Défiez-vous d'un tel homme!... Ecou- tons la musique. » {Le Marchand de Venise, scèno XX, trad. Fr. V. Hugo.)

Voir aussi sonnets 5, 6, 128.

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