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300 LES ORIGINES DU THÉÂTRE LYRIQUE MODERNE.

King- Arthur (1691) (1) est l'expression de cette heureuse décou- verte. Le sujet est puisé aux sources poétiques de l'Angleterre; la musique s'inspire du riche fonds des chants populaires. Très en avance sur son temps, elle a un accent personnel , un charme du Nord, qui tend à se dégager de la convention classique. Telle page, comme le célèbre duo des sirènes, a quelque chose de l'en- veloppement voluptueux et troublant des Filles-Fleurs de Wa- gner (2). Ces efforts pour constituer un art national coïncident avec l'arrivée des chanteurs italiens en 1G92 (3). Gomme il est na- turel, le génie sent plus vigoureusement par contraste les droits de sa pensée à exister librement et à secouer l'imitation étran- gère; il aperçoit les différences de son art et de celui dont il se croyait le fils docile; dès lors, il marche seul, plus confiant et plus fort. Nulle part, Purcell ne trouve d'accents plus fiers que dans le sujet «patriotique de Bonduca (4) (1695). Nulle part, il n'a montré un sens dramatique plus sûr que dans quelques morceaux du Don Quichotte (5) (1694-1696). Un air est surtout original ; Pur- cell y montre un effort curieux et puissant pour peindre la folie avec ses brusques soubresauts et ses alternatives de joie et de mélancolie, de fureur et d'apaisement. On y reconnaît le compa- triote du Roi Lear et de lady Macbeth, l'artiste saxon. A la vérité, il ne faudrait pas s'attendre à trouver dans ces pages la mobilité de nuances de l'art moderne, ni surtout la prodigieuse habileté d'un Wagner à fondre les multiples mouvements d'une âme en une vie unique. Les sentiments divers se juxtaposent, plutôt qu'ils ne se pénètrent, dans leur ordre logique, comme la suite des arguments dans un discours de tragédie classique. Mais l'essai est nouveau, et l'expression musicale est belle, et quelque- fois profonde.

Plus encore qu'un musicien de drames, Purcell était un musi-

��(1) M. Edouard Taylor a retrouvé la partition complète de King Arthur vers 1840. Elle fut jouée à diverses reprises, depuis 1691, sous le nom d'Ar- thur et Emmeline. Quelques passages sont tirés de la Jérusalem délivrée.

(2) Arthur a d'ailleurs plus d'une analogie avec Parsifal. •

(3) « On joua de la musique italienne en Angleterre, et on en parla, » dit Burney, « bien avant de l'entendre chanter. » — La première mention que l'on ait de chanteurs italiens, date seulement de 1692, où la célèbre Marghe- rita de l'Epine vint pour donner des concerts à York-G-uilding, et chanter des opéras italiens.

(4) Tragédie de Beaumont et Fletcher. L'ensemble est d'ailleurs inférieur à King Arthur. La musique ne fait pas corps avec la pièce.

(5) En trois parties, de d'Urfey. La première partie parut en 1694, la troi- sième en 1696.

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