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18 LES ORIGINES DU THEATRE LYRIQUE MODERNE.

êtres que d'autres imaginent, et pour les animer du souffle de leur cœur (1).

La critique de Saint-Evremond n'en subsiste pas moins : car si la dualité des personnes peut être supprimée, elle reste dans l'esprit de l'artiste unique qui écrit l'œuvre. La poésie a ses lois; la musique en a d'autres. Comment les concilier? La poésie, sur- tout la poésie dramatique, tend à l'action. La musique aime à s'attarder aux émotions; elle s'y laisse lauguissamment flotter, oublieuse du but, toute à sa rêverie. Elle s'endort comme Sieg- fried aux murmures des bois, ou, comme les filles du Rhin, berce sa nonchalance au courant cristallin des vagues voluptueuses. Quand l'action l'emporte dans la crise dramatique, elle s'éternise aux cris d'amour et de douleur; elle oublie l'action et la vie réelle, comme Tristan; elle les nie passionnément. Qu'y a-t-il là pour Bacchus, comme disaient les vieux Grecs? Quel rapport entre cet art et le théâtre tel que nous le concevons?

Faisons remarquer d'abord que des exemples aussi particuliers que ceux que nous venons de citer, ne nous permettent pas de conclure pour l'art en général. Si la musique dramatique de l'Allemagne ne répond pas à notre esthétique du théâtre, c'est que peut-être son théâtre même, tout entier, est en désaccord avec elle. Il est bon de se souvenir des leçons d'Addison , et de son scepticisme intelligent (2). Prenons garde aux lois absolues. La

��(1) Ce souci de l'opéra français, où il s'est consumé depuis des siècles, d'écrire des vers pour les chants et des chants pour les vers , cette cons- tante préoccupation pour les deux collaborateurs de s'accommoder l'un à l'autre, qui gêne tout à la fois la poésie et la musique, n'embarrasse guère les génies.

a Si vous saviez, » s'écrie Wagner, « comme vous feriez mieux, ô libret- tistes, de ne pas vous mettre la cervelle à l'envers pour le compositeur, mais simplement de prendre la peine d'écrire, scène par scène, un bon drame, sain et passionné! Alors vous rendriez possible au musicien de faire une musique dramatique; mais avec ce que vous lui donnez, cela est en vérité bien difficile. » (Œuvres complètes, I, 307.)

(2) « La délicatesse de l'oreille ou le goût de l'harmonie s'est formé sur les sons dont chaque pays abonde; la musique est quelque chose de relatif, et ce qui est harmonieux pour une oreille peut devenir une dissonance pour une autre... »

« ... La musique française est devenue parfaite en son genre, et lorsque vous dites qu'elle n'est pas si bonne que l'italienne, cela ne signifie pas au- tre chose, si ce n'est qu'elle ne vous plaît pas autant. » (Spectateur, 23° discours.)

Il va sans dire qu'il y a pourtant dans ce scepticisme un peu de paradoxe ou de légèreté.

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