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76 LES ORIGINES DU THEATRE LYRIQUE MODERNE.

drame lyrique; et ses Orphée et ses Dafné fournirent le premier type, indéfiniment répété, peut-être le plus parfait, de la tragédie en musique.

Rinuccini, comme tous les artistes de la Gamerata, était hanté du souvenir de l'art grec, et la supériorité de l'ancienne tragédie sur le théâtre moderne l'humiliait profondément (1). Il y pensa longuement avec Corsi (2), et après quelques essais de ce dernier pour mettre en musique quelques airs de sa tragédie de Dafné, ils en parlèrent tous deux à Péri (vers 1594). Il s'agissait, suivant Péri, de faire « une simple épreuve du pouvoir de la musique moderne. » Rinuccini, plus assuré, dit : « Il fallait donner la preuve, qui semblait incroyable, que notre musique était capable de rehausser les passions du poème. » Péri se mit à l'œuvre. « Considérant qu'il s'agissait de poésie dramatique, et qu'ainsi le chant devait toujours se modeler sur la parole (bien qu'on n'ait jamais parlé en chantant), » Péri imagina que les anciens em- ployaient des formes musicales a qui, plus relevées que le parler ordinaire, et moins régulièrement dessinées que les pures mélo- dies du chant, fussent à mi-chemin des deux (3). »

En poésie, Rinuccini adopte la forme de l'ïambe. En musique, Péri, tâchant d'oublier tout style connu, cherche à retrouver la « Diastematica » des anciens, qui prend une moyenne entre les mouvements rapides du drame, et ceux du chant, lents et retar- dés. Il étudie la langue italienne, et y reconnaît certains accents qui peuvent servir de fondement au style récitatif musical. Ces accents s'infléchissent dans le cours de la conversation, passent par des dégradations et des nuances insensibles pour la musique,

��(1) Le travail de Rinuccini n'a même pas été perdu pour le théâtre italien en général. Les hellénisants ont arrêté un instant la décadence du goût lit- téraire, comme les académies de peinture réagissaient à la même époque contre les extravagances des derniers disciples de Michel Ange. Après les tragédies sanglantes et les comédies sans mesure du seizième siècle, le drame musical des Florentins paraît une renaissance du théâtre. C'est ainsi qu'on le présente dans presque tous les prologues. (Ecole de Chiabrera.)

(2) Les principaux documents pour l'histoire de ces recherches sont : la dédicace à'Euridice par Rinuccini, et la préface de Péri à la même pièce, ainsi que la préface de Gagliano à sa Dafnè.

(3) « Onde veduto, che si trattava di Poesia dramatica, e che perô si doveva imitar col Canto, chi parla (e senza dubbio non si parlé mai can- tando) , stimai che gli antichi Greci , e Romani (i quali secondo l'opinione di molti cantavano su le Scène le Tragédie intere) usassero un armonia, che avanzando quella del parlar ordinario, scendesse tanta dalla melodia del cantare, che pigliasse forma di cosa inezzana, » (Préf. à Euridice. Péri.)

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