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AMOUR

Biagio ne fut pas le seul à trouver indécentes les peintures de Michel-Ange. L’Italie se faisait prude ; et le temps n’était pas loin où Véronèse allait être traduit devant l’Inquisition pour l’inconvenance de sa Cène chez Simon.[1] Il ne manqua pas de gens pour crier au scandale, devant le Jugement Dernier. Celui qui cria le plus fort fut l’Arétin. Le maître pornographe entreprit de donner des leçons de décence au chaste Michel-Ange.[2] Il lui écrivit une lettre de Tartuffe impudent.[3] Il l’accusait de représenter « des choses à faire rougir une maison de débauche », et il le dénonçait pour impiété à l’Inquisition naissante ; « car ce serait un moindre crime de ne pas croire, disait-il, que d’attenter ainsi à la foi chez autrui ». Il engageait le pape à détruire la fresque. Il mêlait à ses dénonciations de luthéranisme d’ignobles insinuations contre les mœurs de Michel-

  1. En juillet 1573. — Véronèse ne manqua point de s’appuyer sur l’exemple du Jugement dernier :

    « Je conviens que c’est mal ; mais j’en reviens à dire ce que j’ai dit, que c’est un devoir pour moi de suivre les exemples que mes maîtres m’ont donnés.

    — Qu’ont donc fait vos maîtres ? Des choses pareilles peut-être ?

    — Michel-Ange à Rome, dans la chapelle du pape, a représenté Notre Seigneur, Sa mère, saint Jean, saint Pierre et la Cour Céleste, et il a représenté nus tous les personnages, voire la Vierge Marie, et dans des attitudes que la plus sévère religion n’a pas inspirées… »

    (A. Baschet : Paul Véronèse devant le Saint-Office, 1880)

  2. C’était une vengeance. Il avait essayé de lui extorquer, selon son habitude, quelques œuvres d’art ; il avait eu, de plus, l’effronterie de lui tracer un programme pour le Jugement Dernier. Michel-Ange avait décliné poliment cette offre de collaboration étrange, et fait la sourde oreille aux demandes de présent. L’Arétin voulut montrer à Michel-Ange ce qu’il en pouvait coûter de lui manquer d’égards.
  3. Une comédie de l’Arétin, l’Hipocrito, fut le prototype de Tartuffe. (P. Gauthiez : l’Arétin, 1895)
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