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la vie de Michel-Ange

sa maison déserte, en tête à tête avec sa tragique Pietà et ses méditations :

Quand Vasari frappa, Michel-Ange se leva et vint à la porte, un chandelier à la main. Vasari voulut contempler la sculpture ; mais Michel-Ange laissa la lumière tomber et s’éteindre, afin qu’il ne put rien voir. Et pendant qu’Urbino allait en chercher une autre, le maître se tourna vers Vasari, et dit : « Je suis si vieux que souvent la mort me tire par mes chausses, pour que je vienne avec elle. Un jour, mon corps tombera, comme ce flambeau, et, comme lui, s’éteindra la lumière de ma vie. »

L’idée de la mort l’absorbait, de jour en jour plus sombre et plus attirante.

« Aucune pensée n’est en moi, disait-il à Vasari, où la mort ne soit creusée au ciseau. »[1]

Elle lui semblait maintenant le seul bonheur de la vie :

Quand mon passé m’est présent, — et cela m’arrive à toute heure, — ô monde faux, alors je connais bien l’erreur et la faute de la race humaine. Celui qui finit par consentir à tes flatteries et à tes vaines délices prépare à son âme de douloureux chagrins. Il le sait bien, celui qui en a fait l’épreuve, combien souvent tu promets la paix et le bien que tu n’as pas et que tu n’auras jamais. Aussi le moins favorisé est celui qui demeure le plus longtemps ici-bas ; et qui moins longtemps vit, plus aisément retourne au Ciel…[2]

Conduit par beaucoup d’années à ma dernière heure, je reconnais bien tard, ô monde, tes délices. Tu promets la paix que tu n’as pas ; tu promets le repos, qui meurt avant la naissance… Je le dis et le sais par expérience : celui-là

  1. « Non nasce in me pensiero che non vi sia dentro sculpita la morte. » (Lettres, 22 juin 1555)
  2. Voir aux Annexes, XXIV. (Poésies, CIX, 32)
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