Page:Ronsard - Œuvres complètes, Garnier, 1923, tome 1.djvu/186

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la hardiesse de luy descouvrir une partie des passions qu’il enduroit pour elle : ce qu’il fit avecques tant de grâce, qu’elle-mesme esmeuë à pitié, se print à larmoyer. Ceste privauté luy donna tant de plaisir, qu’il dit que le temps ne la mort ne sçauroient faire, qu’il n’ait tousjours en mémoire l’œil, le ris, la larme, et la main de sa dame.


XCI

Si seulement l’image de la chose
Fait à noz yeux la chose concevoir,
Et si mon œil n’a puissance de voir,
Si quelqu’idole au devant ne s’oppose :
Que ne m’a fait celuy qui tout compose,
Les yeux plus grands, afin de mieux pouvoir
En leur grandeur, la grandeur recevoir
Du simulachre où ma vie est enclose ?
Certes le ciel trop ingrat de son bien,
Qui seul la fit, et qui seul vit combien
De sa beauté divine estoit l’Idée,
Comme jaloux d’un bien si précieux,
Silla le monde, et m’aveugla les yeux,
Pour de luy seul seule estre regardée.


MURET

Si seulement.) Quelques anciens ont pensé, que d’un chacun corps sortoient perpétuellement images, lesquelles se rendans dans nostre œil, estoient cause de la veuë. Les raisons en sont au quatriesme livre de Lucrèce. Le Poëte donc se complaint, que Dieu ne luy a fait les yeux plus grands, afin qu’il peust mieux recevoir en iceux la grandeur du simulachre de sa dame. A la fin il dit, que le ciel, qui l’avoit fait belle en perfection, voulut luy seul en avoir la veuë, et par ainsi aveugla les hommes