Page:Ronsard - Œuvres complètes, Garnier, 1923, tome 2.djvu/194

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II

Je voy tousjours le traict de ceste belle face
Dont le corps est en terre, et l’esprit est aux cieux :
Soit que je veille ou dorme, Amour ingenieux
En cent mille façons devant moy le repasse.
Elle qui n’a soucy de ceste terre basse,
Et qui boit du Nectar assise entre les Dieux,
Daigne pourtant revoir mon estat soucieux,
Et en songe appaiser la Mort qui me menace.
Je songe que la nuict elle me prend la main :
Se faschant de me voir si long temps la survivre,
Me tire, et fait semblant que de mon voile humain
Veult rompre le fardeau pour estre plus delivre.
Mais partant de mon lict, son vol est si soudain
Et si prompt vers le ciel, que je ne la puis suivre.

III

Aussi tost que Marie en terre fut venue,
Le Ciel en fut marry, et la voulut ravoir :
A peine nostre siecle eut loisir de la voir,
Qu’elle s’esvanouyt comme un feu dans la nue.
Des presens de Nature elle vint si pourveuë,
Et sa belle jeunesse avoit tant de pouvoir,
Qu’elle eust peu d’un regard les rochers esmouvoir,
Tant elle avoit d’attraits et d’amours en la veuë.
Ores la Mort jouyt des beaux yeux que j’aimois,
La boutique, et la forge, Amour, où tu t’armois.
Maintenant de ton camp cassé je me retire :