Page:Ronsard - Œuvres complètes, Garnier, 1923, tome 2.djvu/318

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

XX

Cruelle, il suffisoit de m’avoir pouldroyé,
Outragé, terrassé, sans m’oster l’esperance.
Tousjours du malheureux l’espoir est l’asseurance :
L’amant sans esperance est du tout fouldroyé.
L’espoir va soulageant l’homme demy-noyé :
L’espoir au prisonnier annonce delivrance :
Le pauvre par l’espoir allege sa souffrance :
Rien meilleur que l’espoir du Ciel n’est envoyé.
Ny d’yeux, ny de semblant vous ne m’estes cruelle :
Mais par l’art cauteleux d’une voix qui me gelle,
Vous m’ostez l’esperance, et desrobez mon jour.
O belle cruauté, des beautez la premiere,
Qu’est-ce parler d’Amour, sans point faire l’amour,
Sinon voir le Soleil sans aimer sa lumiere ?


XXI

Tant de fois s’appointer, tant de fois se fascher,
Tant de fois rompre ensemble, et puis se renouër,
Tantost blasmer Amour, et tantost le louër,
Tant de fois se fuyr, tant de fois se chercher,
Tant de fois se monstrer, tant de fois se cacher,
Tantost se mettre au joug, tantost le secouër,
Advouër sa promesse, et la desadvouër,
Sont signes que l’Amour de pres nous vient toucher.
L’inconstance amoureuse est marque d’amitié.
Si donc tout à la fois avoir haine et pitié,
Jurer, se parjurer, sermens faicts et desfaicts,