Page:Ronsard - Œuvres complètes, Garnier, 1923, tome 2.djvu/476

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

[Depuis 1584, les Amours diverses sont dédiées]


À TRES VERTUEUX SEIGNEUR

N. de NEUFVILLE, seigneur de Villeroy,

Secretaire d’Estat de sa Majesté.


Jà du prochain hyver je prevoy la tempeste,
Jà cinquante et six ans ont neigé sur ma teste,
Il est temps de laisser les vers et les amours,
Et de prendre congé du plus beau de mes jours.
J’ay vescu (Villeroy) si bien que nulle envie
En partant je ne porte aux plaisirs de la vie,
Je les ay tous goustez, et me les suis permis
Autant que la raison me les rendoit amis,
Sur l’eschaffaut mondain jouant mon personnage
D’un habit convenable au temps et à mon âge.
J’ay veu lever le jour, j’ay veu coucher le soir,
J’ay veu greller, tonner, esclairer et pluvoir,
J’ay veu peuples et Rois, et depuis vingt années
J’ay veu presque la France au bout de ses journées,
J’ay veu guerres debats, tantost tréves et paix,
Tantost accords promis, redefais et refais,
Puis defais et refais. J’ay veu que sous la Lune
Tout n’estoit que hazard, et pendoit de fortune.
Pour neant la prudence est guide des humains :
L’invincible destin luy enchesne les mains,
La tenant prisonniere, et tout ce qu’on propose
Sagement la fortune autrement en dispose.
Je m’en vais seul du monde ainsi qu’un convié
S’en va soul du banquet de quelque marié,