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qui survit — ajoutons, tout de suite, pour y revenir en temps opportun, l’auteur d’admirables portraits.

Entre ces deux toiles maîtresses, il y a d’ailleurs une différence capitale, et ceux qui les ont vues, l’une en face de l’autre, comme elles se trouvaient jadis à Versailles, savent combien était éclatante la supériorité du Sacre que l’on a, à si juste titre, transporté à sa vraie place, au Louvre. Le Sacre est un tableau qui date dans l’histoire de la peinture française. Il est prodigieux qu’un artiste, placé dans les conditions où se trouvait David, a i L pu le concevoir et surtout l’exécuter. Sans doute, on peut y relever de graves défauts. L’air y circule encore avec peine ; l’intérêt ne se soutient pas jusqu’au bout de cette vaste composition et toute la partie à la gauche du spectateur est sacrifiée. Pourtant, si l’on réfléchit aux difficultés qu’offrait le sujet, il semble que David est excusable de ne les avoir pas toutes surmontées. Par contre, que de beauté dans ce groupe des dignitaires de droite et, surtout, que de perfection dans le motif central qui rassemble le Pape, l’Impératrice et l’Empereur. Je ne parle pas des qualités morales, du choix, si heureux, de l’instant, de la vérité expressive de toutes les attitudes, de toutes les physionomies, de ces vertus psychologiques dont les artistes français ont été souvent doués. J’insiste, bien plutôt, sur ce qui alors n’était pas commun et dut être instructif : l’aisance et la vérité des allures, celle heureuse distribution de la lumière qui vient frapper l’Empereur et, surtout, le Pape etqu’undais tamisesur le cortège rejeté dans l’ombre. La couleur, bien que volontairement sobre, n’a pas été l’objet de moins de soins. Les masses claires et les parties sombres sont opposées avec science et il n’est pas jusqu’à des détails heureux, les cierges, par exemple, qui marquent leurs lignes blanches sur les draperies vertes, qui n’attestent le souci elle bonheur du peintre.

David, cependant, avait travaillé à contre-cœur à ce chef-d’œuvre. Et tous, autour de lui, gémissaient sur la nécessité qui les attachait aux « habits dorés et aux bottes » (1). Batailles et entrevues royales, ils n’y voyaient que des documents historiques qui les avaient détournés de l’art véritable, ouvrages de circonstance dont ils avaient hâte qu’on les délivrât. Gros, seul, se livra ^vec ardeur à des sujets pour lesquels il était né ; il y dépassa de bien loin loins ses rivaux, y déploya un génie que l’Ecole aurait étouffé. Transfuge inconscient d’uneeslhét ique qu’il révérait, il en prépara la chute par des exemples dont il^e repentit trop tard, heureusement, pour sa gloire. Gtos (2) est, avec Prudhon, un des précurseurs français de la Révolution artistique et nous allons dire comment il y a. contribué. y

(1) Voir plus loin, livre V, la correspondance si ciyieuse de David et de Gros. (2) A.-J. Gros (1771-1833), élève de David, membre de l’Institut, officier de la Légion d’honneur et 3