Page:Rosny - La Guerre du feu.djvu/33

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À peine sortaient-ils de la pénombre qu’une autre clameur s’éleva, qui transperçait la première comme une hache fend la chair d’une chèvre. C’était un cri membraneux, moins grave, moins rythmique, plus faible que le cri des aurochs ; pourtant, il annonçait la plus forte des créatures qui rôdaient sur la face de la terre. En ce temps, le Mammouth circulait invincible. Sa stature éloignait le Lion et le Tigre ; elle décourageait l’Ours gris ; l’homme ne devait pas se mesurer avec lui avant des millénaires, et seul, le Rhinocéros, aveugle et stupide, osait le combattre. Il était souple, rapide, infatigable, apte à gravir les montagnes, réfléchi et la mémoire tenace ; il saisissait, travaillait et mesurait la matière avec sa trompe, fouissait la terre de ses défenses énormes, conduisait ses expéditions avec sagesse et connaissait sa suprématie : la vie lui était belle ; son sang coulait bien rouge ; il ne faut pas douter que sa conscience fût plus lucide, son sentiment des choses plus subtil qu’il ne l’est chez les éléphants avilis par la longue victoire de l’homme.

Il advint que les chefs des aurochs et ceux des mammouths approchèrent en même temps le bord des eaux. Les mammouths, selon leur règle, prétendirent passer les premiers ; cette règle ne rencontrait d’opposition ni chez les urus ni chez les aurochs. Pourtant, tels aurochs s’irritaient, accoutumés à voir céder les autres herbivores et conduits par des taureaux qui connaissaient mal le mammouth.

Or, les huit taureaux de tête étaient gigantesques — le plus grand atteignait le volume d’un rhinocéros ; leur patience était courte, leur soif ardente. Voyant que les mammouths voulaient passer d’abord, ils poussèrent leur long cri de guerre, le mufle haut, la gorge enflée en cornemuse.

Les mammouths barrirent. C’étaient cinq vieux mâles :