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CONTES. — PREMIÈRE SÉRIE

les têtes, et je ne devinai qu’au bout de quelques secondes, quand la détonation d’un gros canon ennemi parvint à mon oreille…

Naturellement, cela me parut une effroyable mort. De toute cette guerre, où je vis pourtant de farouches épisodes, ce fut ce qui se grava le plus profondément dans ma mémoire. Longtemps je plaignis de tout mon cœur ces beaux jeunes gens enlevés dans leur force. À la longue j’appris à jalouser leur bonheur. Au fond, n’est-ce pas, ils ne devaient pas connaître un plus beau moment, et toutes les misères de l’existence les guettaient au tournant des routes. Ils étaient morts dans la joie absolue, sans aucune souffrance, sans aucune inquiétude, sans avoir le temps même de rien sentir, sinon la douceur du baiser : car, à ce degré de vitesse, la souffrance ni la pensée n’existent plus…