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APRÈS LE NAUFRAGE


Nous parlions du Chanzy. Chacun y allait de sa petite anecdote ou de son trait de mœurs. On aurait cru que la plupart d’entre nous avaient fait le tour des océans. Au fond, nous ressassions et déformions des faits déjà cent fois ressassés et déformés ; c’est le sort des réalités humaines : toutes, par le secours de la parole ailée, se transforment en fables.

Seul, le commandant Desgenest, qui avait longuement parcouru la planète, gardait le silence. À la fin, cependant, il se mit à dire :

— Moi aussi, j’ai fait naufrage, et, comme le rescapé du Chanzy, j’ai eu seul la chance de revoir, après le désastre, la divine lumière.

« Je revenais d’Égypte sur un paquebot sénile, aux rouages essoufflés, mais à la carapace encore résistante. La tempête nous saisit presque en vue des côtes de France. Elle fut formidable. La triste demeure flottante tantôt croulait au fond d’un gouffre, tantôt s’élevait sur des collines écumeuses.