Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/102

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qua-t-il avec ferveur. Si de vieux instincts peuvent servir, ce n’est pas moi qui les dédaignerai. Sans doute, je ne voudrais pas employer souvent les moyens dont j’ai usé depuis deux jours ; les circonstances en restreignent d’ailleurs l’usage. Mais je me félicite de l’avoir fait. La mort violente agit utilement sur les imaginations. Lorsqu’elle frappe les pauvres de la manière dont elle les a frappés avant-hier, elle aide à faire ressortir l’injustice, l’égoïsme, l’incapacité aussi, de ceux qui oppriment et dégradent la masse. Je ne rougis pas de ressentir cette impression aussi vivante, plus vivante peut-être, que ceux à qui je la communique. Je serais un mauvais berger, si je manquais de telles occasions. Tant pis s’il s’y mêle quelque superstition — pourquoi n’avouerai-je pas que je la partage, et que je ne trouve pas le culte des morts absurde ? L’important est que le peuple voie un peu mieux la nécessité de la révolte et l’excellence de la solidarité ! Le sens révolutionnaire doit se souder à l’instinct de conservation.

— Il n’est pas bon d’associer les choses qui doivent périr aux choses qui doivent vivre. On produit la confusion et on prépare la réaction. Quand vous avez réclamé le cadavre de Moriscot, vous m’avez fait penser à l’Iliade : la foule qui vous acclamait était certainement une foule des vieux âges.

Il ne répondit pas. Leurs regards s’étaient croisés. Ils reconnaissaient, confusément, qu’ils avaient été construits pour se plaire. Semblables et dissemblables autant qu’il le fallait pour unir leurs goûts et pour obéir à la loi des contrastes, ils avaient aussi cette pureté de sang qu’ils préféraient à toute autre qualité physique. Tous deux, dans la vieille société pleine de rebuts, de pourritures et de déformations, réalisaient une structure sans tares.

— Je vous remercie, dit-il, presque humblement, d’avoir soigné mon petit Antoine.