Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/118

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tout près de la cheminée, avec un fauteuil crapaud : Fallandres s’y recoquillait ; c’est là seulement qu’il ôtait sa houppelande.

Il ne faisait rien. À peine s’il lisait. Parfois, après de longues méditations, il approchait un petit chevalet et peignait, de chic, un paysage : c’était un torrent dans la montagne, une croix parmi des ruines, des palmiers autour d’un temple, un désert rouge et soufre, un fleuve mangé de végétation tropicale. Non seulement la peinture réaliste, mais toute peinture guidée par des modèles lui faisait horreur. Il achevait rarement ses petites toiles ; il les distribuait au hasard des rencontres.

Sa vraie vie était dans l’inaction. Allongé près de son poêle comme un alligator, avec sa face bise, ses mains couleur de platane, ses vêtements roux, le moindre courant d’air le terrorisait. Et c’était une créature heureuse. Il ne craignait aucun lendemain ; il ne pensait ni au chômage, ni à la maladie ; la chaleur lui donnait des joies inépuisables ; aucune ambition ne le tourmentait ; indifférent à l’opinion d’autrui, il n’engageait aucune controverse, ne pariait pas, ne prenait parti pour rien ni pour personne.

Cependant, au fond de lui, brûlait une petite flamme mystique ; il était fraternel et désintéressé ; il ne tenait pas du tout à l’argent, et il n’aurait pas défendu son salaire contre les entreprises des geignards, si Mme Fallandres n’y avait mis bon ordre en allant cueillir elle-même les quinzaines du peintre. Elle en réglait l’emploi avec équité et sans avarice : tous les matins, Fallandres trouvait dans sa poche vingt-cinq sous pour le vin, le tabac et la charité. Comme il fumait et buvait peu, il avait de quoi offrir une consommation ou prêter quelques sous au camarade pauvre.

Mme Fallandres, femme tendineuse et saccadée, découvrait, sous une jupe courte, des pattes de vieille