Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/163

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— Il a besoin d’une leçon ! déclara le petit homme couturé.

Il y eut tumulte. Les exaltés dominèrent du larynx et du geste ; la perspective d’une grève ne déplaisait pas aux âmes vagabondes ou molles : elle se décelait pleine d’aventure, de cabarets, de palabres — et on pouvait compter sur des subsides. Mais le hourvari passé, les tempéraments craintifs, les laborieux et ceux qui vont à la Caisse d’épargne se ressaisirent. Beaucoup admettaient une exception, en faveur d’un vieux camarade du « singe » ; au fond, des hommes mûrs approuvaient cet acte solidaire. Après quelques disputes, on convint de prêcher le nouveau. Mais Glachant tourna vers les discoureurs une hure furibonde :

— Les syndicats m’ont ruiné… Je ne vais peut-être pas me mettre avec mes assassins ?

Après plusieurs tentatives, on y renonça. Les meneurs reprirent leur campagne ; il y eut des réunions au cabaret et dans la rue, mais les partisans de la grève demeuraient en petit nombre et leur enthousiasme se mit à décroître. La victoire semblait acquise au père Boucharlat, lorsque Rougemont intervint.

Le propagandiste souffla sur les cendres, ranima les rancunes et examina la situation de l’imprimeur : la grève était possible. Mais il rencontra une force d’inertie considérable. La majorité de l’atelier considérait l’affaire comme finie. Le vieux Glachant, sous sa dégaine de sanglier, cachait un assez bon bougre : il avait payé bouteille à quelques anciens, il ne mouchardait pas ; sa tristesse, ses rhumatismes, sa barbe blanche touchaient ceux qui prenaient de l’âge, et l’exception faite en sa faveur finissait par sembler naturelle :

— C’est un vieux chien à qui on jette un os ! déclarait un ouvrier quinquagénaire, un soir que François avait organisé une réunion dans la baraque. Je