Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/165

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frères, qui claquent de faim sans jamais avoir été riches, qui ne se croient pas au-dessus de vous, au contraire ! Gardez votre sympathie pour eux. Quant à ceux qui refusent de faire partie des syndicats, ce sont des ennemis, ils vous condamnent à une lutte plus difficile, ils rendent votre pain plus rude à gagner et vous empêchent d’obtenir la journée de huit heures qui, à elle seule, nettoyerait la place pour des milliers de camarades.

Les meneurs l’approuvaient à grands cris. Les modérés demeuraient sans parole. Cependant, le vieil ouvrier secouait la tête avec tristesse, étant de ceux qui suivent leur sentiment plutôt que des harangues. Il répliqua avec une certaine amertume :

— Alors, faut qu’on le flanque à la porte ?

— Non ! Vous serez généreux. Vous irez lui dire encore une fois qu’il tient son sort entre ses mains, que vous ne lui demandez que de reconnaître vos droits qui sont des droits justes, que vous ne pouvez trahir des engagements pris envers tous vos camarades. S’il refuse, eh bien ! c’est lui-même qui se sera mis à la rue ! C’est votre devoir, après tout : la lutte est la lutte. Si vous cédez au sieur Boucharlat et au sieur Glachant, demain vous céderez à X…, à Y…, à Z…, et il n’y aura plus d’issue. Allez-y carrément : la fédération tout entière vous soutiendra !…

Son geste, sa voix, cette terrible sincérité qui luisait dans son regard entraînèrent l’assemblée ; une atmosphère de violence, une ivresse de révolte soulevèrent les plus timides :

— Jusqu’au bout ! hurla le petit homme couturé ! Ceux qui reculent sont des couillons… À bas les vampires !

Glachant se montra intraitable. Il opposa d’abord aux exhortations sa face de ragot taciturne, à peine de-ci de-là crachant quelque parole rogue ou acérée. Quand on le prenait par la douceur, il ne proférait