Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/173

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jeté sur l’entreprise. En même temps, des escouades se répandirent aux abords des travaux et cuisinèrent les embauchés.

La violence leur était interdite. Elles devaient procéder par la ruse, la persuasion, la blague et la douceur souveraine des apéritifs. Dès le premier jour, il y eut du flottement. Mais ce fut l’intervention de Rougemont qui porta le grand coup. Il arriva, vers la fin d’un après-midi, avec vingt-cinq prolétaires des Terrains Vagues, parmi lesquels Isidore Pouraille, Bardoufle, Dutilleul le Balafré, qui menait six hommes armés de triques, Gourjat, la Trompette de Jéricho, Alfred le Géant rouge, le jeune Armand Bossange, quelques recrues des Enfants de la Rochelle.

À leur sortie, les embauchés, circonvenus par une foule fraternelle, furent entraînés chez un fort mastroquet d’Italie. Parmi le fumet cordial des absinthes, des amers et des vermouths, François leur représenta le mal qu’ils faisaient à la cause commune. La lutte des grévistes était héroïque, jamais la solidarité n’avait été plus nécessaire, les dissidents compromettaient une des plus solides, une des plus belles victoires du prolétariat. Et il promit solennellement que, non seulement le syndicat des terrassiers, mais encore d’autres syndicats aideraient de leur bourse les camarades trompés par Jacquin, Bizard et Marneton.

Il avait d’abord parlé d’un air bon enfant, avec des intermèdes de gaieté et des traits aigus contre la roublardise patronale. Par des transitions imperceptibles, il élargit le débat, il enveloppa les pauvres diables de sa chaude éloquence, il les attendrit, les exalta, les enfla de confiance. Puis, attirant le plus vieux par sa grosse main argileuse, il lui donna l’accolade :

— Camarades ! l’heure est grande, l’heure est décisive… elle est solennelle dans la guerre de la Con-