Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/195

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qu’il arrachait si péniblement les hommes à leur inertie, qu’il lui fallait continuellement recommencer sa tâche, ranimer les tièdes et ramener les inconstants, il suffisait à l’autre de paraître pour faire flamber les enthousiasmes. Ce fut la rancune des hommes secs, tendus, inlassables, contre ceux qui « coïncident » sans peine avec les sentiments de la multitude. La victoire des éloquents n’est-elle pas la suprême injure aux organisateurs ? Que de fois le mécanicien songea à faire chasser le meneur des ateliers Delaborde ! Mais sa race ne veut rien devoir à la faveur. Il se condamna à subir la présence exécrable, et tandis que François traversait les ateliers, il travaillait, les yeux fauves et la rage au foie.

Sa sœur Christine doublait son énergie. Cette persuasion brillante, ce don de la grâce que Deslandes exécrait chez les autres, il les chérissait en elle. Comme lui opiniâtre, d’une diligence exacte, ironique et studieuse, elle ignorait ses rages sèches, ses haines longuement cuites et recuites. Toute espèce d’événements favorables fleurissait autour d’elle et dans elle. Cette lueur qu’elle promenait avec ses yeux et sa grande chevelure, l’adresse au travail et la conception aisée enchantaient ses heures. Sans doute elle était combative autant que Deslandes, mais elle ne redoutait pas la défaite — ou plutôt, elle sentait qu’aucune défaite ne serait définitive. Et il y avait entre eux une différence d’ordre social. Il demeurait ouvrier, de caste et par toutes ses habitudes, tandis qu’elle était devenue bourgeoise. Ainsi l’avait-il voulu

Il avait mené une existence pauvre pour qu’elle connût la vie du lycée. Fier de lui voir d’autres façons que les siennes, une science plus souple, plus élégante, plus heureuse, il regrettait qu’elle fût redescendue au travail manuel. Car c’est elle qui s’était obstinée à faire de la brochure. Orgueilleuse, pleine