Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/198

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

point, elle se donnerait, après la longue patience, les promesses sûres, et sans doute en mariage. Ce n’était pas l’affaire de Rougemont : il pouvait goûter sans crainte la séduction de cette présence.

Ils discutaient parfois. Il le faisait prudemment, attentif à ne la point fâcher. Elle se fâchait tout de même ; c’était une colère de pensée qui s’en allait avec les mots. Ils ne s’entendaient sur rien, n’ayant de commun que leur optimisme et l’intérêt, passionné jusqu’à la manie, qu’ils portaient aux sociétés futures. Sur ces points leur ressemblance était forte. Tous deux ne pensaient guère à leur propre mort, moins encore à la décadence et à la fin des hommes. S’il leur arrivait d’y songer, c’était d’une manière furtive, avec une légèreté d’enfants et de sauvages. Ils avaient aussi l’avantage de mal connaître leur propre âme. Leur moi flottait sur l’inconscient comme un radeau sur l’Atlantique. Leur esprit, ainsi qu’il sied aux meneurs, aux hommes d’État et aux bons militaires, se portait sur les autres. Là même, ils se spécialisaient, car il leur importait surtout de discerner les éléments humains qui ressortissaient à la psychologie sociale. Aussi savaient-ils l’un et l’autre agir sur le prochain avec précision et promptitude. Mais François se rattachait davantage au type politique et confesseur ; Christine était fondatrice, plus inclinée à former des ruches que des syndicats. À la fois homme des foules et producteur solitaire, il n’eût pu fonder ni utiliser une industrie, tandis qu’elle, sans goût pour les jeux de tribune, savait diriger le travail en commun et comprenait finement le mécanisme de la production.

Plus indulgente que son frère pour les incapables, les infirmes, les irrésolus et même les alcooliques, elle s’attachait inflexiblement à une hiérarchie d’aptitudes ; elle voulait que cette hiérarchie fût marquée par le commandement ou par la propriété.