Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/200

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Christine. C’est elle qui ajoutait, au calme des choses, ce tressaillement, cette promesse mystérieuse, cette ardeur insondable, cette grâce d’herbes, de fruit et d’eaux vives. Il n’avait jamais aussi délicatement perçu la présence féminine. La chair de Christine se décelait saine autant que magnifique, le sang qui coulait dans l’ombre des veines devait être d’une qualité égale à la pulpe des joues, aux feux du regard, à la nacre des petites dents.

Il regretta une fois de plus qu’elle ne fût pas révolutionnaire ; il entrevit une existence où il cesserait de rôder solitaire parmi les foules. Pourtant, par destination, il dédaignait la famille : voyageur de la révolte, partisan de l’élevage en commun, il la considérait comme un leurre, un mirage des sociétés mortes. La maternité seule lui semblait naturelle : elle se satisferait largement dans un milieu où la vie serait facile, où chaque enfant trouverait l’abri, la nourriture et les soins.

Mais la paternité, factice, égoïste et dommageable au prochain, mais la famille, petit peuple agressif, aux instincts étroits, aux solidarités mesquines, ne devaient trouver aucune sanction et surtout ne jouir d’aucun privilège. Sans doute, la société future ne s’opposerait pas à l’union durable d’un homme et d’une femme ; elle se bornerait à ignorer une telle union, elle ne tiendrait compte d’aucun engagement ni de l’homme envers la femme, ni de la femme envers l’homme, d’aucun droit de l’enfant ni des parents. Étrangère à la consommation comme à la dissolution des mariages, opposée à toute transmission des biens par hérédité, elle réduirait par là même le rôle des familles au point de balancer ses effets nocifs par ses effets utiles…

Pourtant, dans l’heure quiète, tandis que Christine menait le petit Antoine à travers les deltas et les embouchures, un rêve l’apprivoisait. Avec cette fille droite, il concevait qu’on pût marcher côte à