Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/210

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hommes et là, j’en suis bien sûre, vous n’avez pas ménagé vos peines…

— C’est vrai, que nous tournons en rond ! murmura François. En somme, vous n’admettez pas la poursuite du bonheur ?

— Ah ! vraiment, s’exclama-t-elle, je veux, au contraire, qu’on le poursuive ardemment et sans reprendre haleine. Cesser la poursuite, se résigner à un sort lamentable, me paraît plus funeste encore que de s’arrêter à un bien-être torpide. Le bonheur n’a point de limites. Chaque souffrance évitée, chaque joie atteinte nous mettent devant de nouvelles souffrances à éviter et de nouvelles joies à atteindre.

— Si du moins vous espériez la fin des souffrances physiques !

— Bien des maladies ne sont peut-être que la préparation à une vie plus précieuse ! Puis, comment faire si l’organisme devient plus sensible ? Et quelle souffrance dite morale se conçoit sans une dépression ou une excitation douloureuse de l’organisme ? Voulez-vous le fond de ma pensée ? Je crois que les peines morales souvent répétées deviennent des peines physiques.

— Quel cauchemar ! soupira Rougemont. Comment pouvez-vous prendre intérêt à l’avenir des hommes ? Si je pensais comme vous, je ne ferais pas un geste pour améliorer leur sort. J’attendrais la mort avec impatience et je souhaiterais que les hommes disparaissent au plus vite de cette terre lamentable.

— Alors, vous condamnez tout ce qui s’est accompli depuis que la vie est apparue ? Vous acceptez le sort parce que vous espérez qu’un jour le sens des choses changera ; vous ne consentez à l’existence qu’en vue d’une conclusion qui contredira tout ce qui s’est fait auparavant ? Moi, je trouve que la vie a toujours été assez belle pour être vécue et il n’y