Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/213

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nant de sa canne d’entraînement sur le pied d’une table.

Varang avait pris une face venimeuse. Et il cria, les mains en tentacules :

— Les typographes, je les emm…

— Les charcutiers, je les ai dans le c… ! riposta froidement Alfred.

Les deux hommes se dressèrent. C’étaient deux fortes bêtes humaines, aux attaches rudes, aux redoutables structures, et prêtes à redevenir sauvages.

— J’en ai démoli de plus méchants que toi ! proclama le charcutier.

— Ça ne serait pas long de te dévisser la hure !

Mais le cabaretier sortit de son comptoir et s’avança jusqu’au milieu de la salle. Il tournait alternativement vers les deux camps un visage énorme, où les yeux barbotaient dans le mastic ; les avant-bras nus ressemblaient à des cuisses. Quoique déconfit par les rogommes, le cœur, les entrailles et les reins noyés de lard, il avait encore la poigne énergique.

— Messieurs, dit-il, ma maison n’est pas un abattoir. Ceusses qui veulent se battre, y a la rue.

Alfred et Varang l’enveloppèrent d’un regard dédaigneux :

— Mon pauv’ vieux ! fit le charcutier, tu rêves ! Est-ce que tu te crois avec le hareng saur que tu as expulsé hier ? Tu n’aurais pas seulement le temps d’appeler un flic que tu lécherais la sciure !

D’un geste instinctif, le cabaretier retroussa sa manche :

— C’est pas de la pomme de terre, c’est du suif ! goguenarda Varang. Allons ! rengaine tes jattes, tu sais bien que tu es fondu… et pas plus de souffle qu’un porc de concours.

Le cabaretier avait du courage. Une petite lueur filtra par les interstices des paupières. Et s’il avait fallu absolument combattre, il eût tenté le sort.