Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/273

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encore à la pensée que le « voyou » avait délivré Christine :

— Un pou de meeting ! Une vermine du bas syndicalisme… Une crapule de sans-patrie !… Je le crèverais comme un putois !…

Des rouilles traînèrent parmi les nues ; quelques fumées rampaient, jaunes, verdâtres ou schisteuses selon la densité ou les reflets des façades. Puis, un tunnel s’ouvrit dans les buées, un torrent de pourpre et d’améthyste rebondit sur le faubourg. Le jour fut soudain jeune et frais, l’illusion fusa par larges coulées entre des vapeurs couleur de sauge, de nymphéa rose, de pivoine, des lacs topaze et citron, des cratères de fonte rouge qu’entrecoupaient des pyrites vertes, des cavernes jonquille taillées dans du mâchefer. Trois hirondelles aux ailes tranchantes passèrent devant les vitres avec une sifflerie de bonheur et Marcel, plongeant dehors sa tête lasse, respira cet air du matin qui caresse comme une main d’enfant. Alors, il lui sembla que ses nerfs consentiraient au sommeil…

Il dormit en effet, pesamment, secoué de rêves brefs qui fulguraient sur sa rétine. Debout à l’heure accoutumée, il parut devant Christine avec une face de chaux. La table était servie, claire et douce. Le mécanicien n’aimait rien tant que des tartines fines, trempées dans du café bouillant.

C’était son repas « paisible » : le reste du jour, son naturel âpre, sa vigilance aiguë, ses soucis et la tension de sa volonté lui faisaient avaler la nourriture au hasard. Mais le matin il s’attardait à savourer le pain chaud et le beurre frais. Christine, qui le savait bien, veillait sur la qualité des aliments et parfois Marcel se mettait à dire :

— Vois-tu, l’homme ne s’est pas trompé, en mettant le pain par-dessus tous les mets. Quand il est bien fabriqué, rien ne le dépasse…

— Avec du beurre et du café, souriait-elle.