Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/276

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connaissent pas la portée. La guerre haineuse qu’ils font au patronat et la malhonnêteté de leur tactique se payeront un jour ! En mettant notre confiance dans l’énergie, en défendant les droits de l’individu comme seuls capables de sauver la masse, en reconnaissant la force féconde de la propriété individuelle, ne sommes-nous pas sûrs d’avoir raison ? Alors, qu’importent quelques vagues palabres ?

— Il est dur d’être vaincus…

— Nous sommes vainqueurs ! Nous faisons notre œuvre… et c’est la meilleure. Nous serons riches, par surcroît.

— Ce n’est pas certain. Les syndicats rouges s’accroissent infatigablement. Qui dira si je ne serai pas un jour expulsé des ateliers ?

— Et puis ? Tu en seras quitte pour devenir patron. Tu devrais l’être depuis longtemps. Il n’y a qu’à étendre la main. C’est la propagande qui t’a entravé. Ah ! vois-tu… vois-tu… si tu le voulais bien, tu ne serais jamais malheureux comme tu l’es ce matin…

Il but une triste gorgée de café et regarda Christine. En un sens, il l’aimait plus que lui-même. Il aurait consenti à avoir faim pour qu’elle vécût dans l’abondance ; il aurait accepté le froid, la fatigue, la douleur, pour qu’elle eût un nid tiède et ignorât la crainte du lendemain.

Un faible sourire détendit sa lèvre morose ; puis son corps fut saisi d’un tremblement. Et il ne put retenir le cri de sa crainte.

— Écoute, Christine ! Si jamais tu aimais Rougemont… il vaudrait mieux que tu ne sois pas née ! Cela me crèverait le cœur.

Elle leva un visage grave ; le feu de ses yeux parut s’emplir de fumée.

— Ce n’est pas un méchant homme, répondit-elle. Il croit sincèrement que la souffrance humaine ne peut disparaître que par la destruction du patronat.