Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/283

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— Aussi bien, si j’étais la femme d’un révolutionnaire, croyez que je renoncerais à mes projets de fortune. Ce serait un sacrifice : un homme de cœur souffrirait en l’acceptant.

— Je n’en suis pas sûr, fit-il avec mélancolie. Je considère la fortune comme une chose si mauvaise et si nuisible à ceux-là mêmes qui la possèdent, que j’accepterais sans doute d’y voir renoncer une femme aimée. Je croirais aussi, dans votre cas, la délivrer de soucis amers et moroses, de luttes déprimantes, d’inévitables compromissions de conscience.

— Ah ! vraiment. Mais moi, je sens que j’aimerai ces soucis et ces luttes et je n’admets pas l’utilité des mauvaises compromissions.

— Enfin ! soupira-t-il, cela me fait du bien, à travers ma souffrance, de songer que vous auriez consenti au sacrifice.

Le geai s’était posé sur le genou du révolutionnaire ; il tournait sa tête bleuâtre et ses yeux ronds vers Christine, d’un air attentif et sournois.

— Qui sait ! murmura François, vous deviendrez peut-être révolutionnaire ! Au fond, vous aimez le peuple autant que moi-même.

— Vous l’aimez mal. Vous le gâtez, vous en faites un enfant boudeur et querelleur. Non, je ne serai jamais des vôtres. Je crois aux conducteurs d’hommes, aussi bien pour fabriquer la richesse que pour diriger la conduite morale, et cette croyance correspond au fond de ma nature. Ne faisons pas de rêves. La réalité qui nous sépare est sûre. Elle ne se dédira point.

— La réalité, c’est que je vous aime et que c’est mon grand amour. Ah ! que la vie sera dure où vous ne m’accompagnerez point !

Elle s’émut. Elle sentit qu’il ne prononçait pas de vaines paroles. Et entendant le pas d’Antoinette dans l’escalier, elle tendit la main en disant :