Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/313

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derniers articles ont pour rubriques : Pour quoi, pour qui, on envahit le Maroc ; les conseils d’un ministre ; l’Ennemi de l’intérieur ; le Sou du soldat !

Les conscrits se passaient cette feuille avec fièvre, goguenardise ou bravade. On dévorait surtout le premier article : « Jeune soldat, cette caverne qu’est la caserne te réclame… »

Des vociférations entrecoupaient la lecture ; quelques-uns lisaient des passages à voix haute, d’autres affectaient de tendre la gazette vers l’infanterie de marine échelonnée devant les barrières, mais la multitude se bornait à des rôderies circulaires ou des palabres.

On apercevait un petit homme livide qui marchait à travers la foule avec une flexibilité singulière ; parfois, il faisait mine de franchir un obstacle ou bien, contournant un groupe, il se levait sur la pointe des pieds. Ce petit homme parlait à voix basse et souriait du coin de la bouche, à gauche, avec un hochement de tête ; vêtu de noir, il portait un crêpe à son chapeau et tenait à la main un panier plein de pommes, de figues sèches et de noix. Sous l’horloge, un conscrit agitait une tête bitumeuse. Son œil gauche sanguinolait, entre des paupières crues, et distillait la fièvre. Il injuriait un homme à la moustache de cuivre, aux mains immenses, qui répondait avec douceur, en fermant le poing :

— Je ne connais pas ma force.

L’étendue du poing impressionnait l’adversaire. Il criait en montrant les dents :

— Porc à l’engrais ! Andouille mal cuite… Bouffeur de m… C’est pas encore en faisant le kangourou boxeur que tu vas m’épater ! Je te scierai les c… et ça ne sera pas long !

À chaque injure, il avançait la tête, avec des gestes d’assassin. L’autre, attentif et paisible, reprenait :