Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/339

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

s’aveugle, qu’on morcelle, qu’on divise, qu’on passe à la limite. Sans cette concession à l’infirmité de notre nature, aucun mathématicien ne trouverait de nouvelles formules, aucun physicien ne pénétrerait dans l’inconnu des phénomènes, aucun philosophe ne s’élèverait aux idées universelles.

Tout en ratiocinant, François arriva devant les chantiers Bernot, d’où les charrettes issaient comme des fourmis colossales. La houille encroûtait le rond-point et la chaussée, les charbonniers formaient une tribu de nègres, aux yeux luisants, comme passé au koheul, les détritus fermentaient en meules, tout le terroir exhalait une puissance chagrine, rude et méthodique. Un tel spectacle ne déplaisait pas au révolutionnaire : la barbarie industrielle deviendrait, à la longue, un fleuve de joie. D’ailleurs, les charretiers aux grosses épaules, aux torses bien équarris, promettaient une forte descendance.

Il aspira l’atmosphère épaisse et se laissa tenter par la rue de la Fontaine-à-Mulard. Elle s’abaisse derrière une balustrade galeuse, elle semble, en tournant, s’enfoncer dans la terre. Souvenir de l’ère des éleveurs, des maraîchers, des agriculteurs, elle recèle encore des structures rustiques, des cahutes où l’argile autant que le mortier unit les calcaires ; l’on y découvre une fontaine morte qui a donné son nom à la venelle, des maisons réduites aux murailles, d’autres percluses, atteintes d’étranges pellagres, de lèpres ou de dartres vertes, des jardins baroques où l’herbe s’échevèle, des arbres démembrés, d’insidieux légumes, des fleurs aux visages salis de poussière.

Pensif, il déboucha dans la rue des Peupliers. Un paysage ruineux s’étalait sur la pente ; dans un grand terrain vague, quelques enfants brûlaient des herbes et des tiges de pommes de terre, comme en plein champ. Enfin, près de la poterne des Peupliers, il escalada les fortifications, observatoire