Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/345

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épaisse, il concevait une vie plus haute et plus sensitive que celle des hommes.

— Vous regardez les pigeons, murmura Eulalie. C’est gentil, c’est gai. Dites, est-ce qu’on aura les « aréoplanes » ?

Elle était proche, saisie d’un goût brusque pour la barbe soyeuse et les yeux sincères. Ses cheveux frôlèrent le cou de François ; son air dément était plus tendre, presque recueilli ; elle appartenait à l’instinct, au hasard et aux circonstances ; l’atmosphère distillait la volupté et le désordre, atmosphère toute tressaillante de vapeur, d’électricité sourde, d’orage avorté : Rougemont se laissa surprendre. Son bras s’éleva contre la taille de la jeune fille ; il n’eut guère qu’à tourner les lèvres pour rencontrer une bouche qui sentait la menthe et qui dévora le baiser.

Eulalie un peu pâle, hagarde, sa poitrine contre l’épaule de François, dit à voix basse :

— Je n’osais pas !

Voyant que Georgette n’avait pas encore reparu, elle tendit de nouveau ses lèvres. Une tiédeur traversait le corsage ; la sensation parut plus charmante d’être soudaine ; la grande Eulalie fut une minute brillante de l’éternité. Car elle figurait l’aventure qui vient à travers l’espace et les âges ainsi qu’un vol d’oiseaux migrateurs, elle était inconnue et très connue, elle avait tout ce qui est l’incertitude et la certitude de l’espèce : l’instinct obscur, la chair neuve, le hallier des cheveux, les yeux frais par où nous participons à la force lumineuse des créatures, et son exaltation qui appelait celle du mâle aussi loyalement que la biche, au temps d’automne, appelle la caresse du cerf. Il l’aima pour une heure, un jour, une saison… Et quand il demanda :

— Voulez-vous, on se verra, tantôt… à la poterne des Peupliers ?