Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/347

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— Où vous voudrez ! dit-il.

Elle voulait, elle savait. Ce qui était pour lui le désordre, c’était l’ordre pour elle. Vivre la brillante minute, au mépris des lendemains ! Le présent seul était ; le devenir, dans la petite âme impatiente, n’existait guère plus que dans l’âme d’un chien ou d’une poule.

Elle l’emmena par la poterne des Peupliers ; ils errèrent sur la route couleur lama, entre des cabarets, des maisons de banlieue, des champs de tessons, de blés chagrins et de plaintifs légumes. Tout de même quelque chose apparut qui ressemblait à la campagne. Les végétaux dressèrent des tailles pliantes ou des torses bien construits ; des muscles verts pullulèrent, et les corolles, nourries par des jardiniers rusés, exhalaient cette haleine où s’agglomèrent nos souvenirs tendres.


Eulalie avait été sage au long de Gentilly et d’Arcueil. Son pied léger se hâtait vers la joie. Quand l’horizon s’ouvrit, sous la batiste des nues, elle eut un murmure d’allégresse, elle attira Rougemont dans un sentier, où il y avait des murs mangés de feuillages, des champs de roses, d’œillets, d’iris et de glaïeuls. La terre était moite, on rencontrait des limaces rouges, de petites grenouilles soubresautantes, des carabes, des bousiers, des vers de terre se hâtant vers la demeure souterraine, des sauterelles, des lucanes aux cornes arquées, des cicindèles, des guêpes, des moustiques. Une fauvette fila parmi des roses, un merle apparut dans son costume de professeur et des corneilles, en bande rauque, se silhouettèrent sur la pâleur de papier d’un grand nuage.

— Qu’il fait bon !… Qu’il fait bon ! roucoulait Eulalie. Comme c’est gentil de vivre !

Elle jeta ses bras flexibles autour du col de François, ses petits seins s’élevèrent ; on entendait