Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/352

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— Oui ! oui ! s’écria-t-il avec gratitude. Je vous aime beaucoup, chère grande fille !…

Elle n’en demandait pas davantage ; elle ajouta avec un petit rire mystérieux :

— Je ne serai pas gênante, va ! Je sais bien que tu n’as pas beaucoup de temps et que tu dois avoir de la tenue. Tu me feras seulement un petit signe.

La poterne des Peupliers était prochaine ; dans le silence passait l’inquiétude de la chose accomplie : petite mort du soir tombant, de la fin d’un beau livre, de la première étreinte des corps !

— Oh ! nous retournerons là-bas ? fit-elle en désignant les étoiles du Sud.

— Quand vous voudrez…

— Mais pas demain ? Vous diriez que je suis exigeante.

— Je dirais que vous êtes charmante.

— Vrai ? Comme vous avez gentiment dit ça ! Alors, demain… car vois-tu, j’ai été si heureuse… si heureuse !… parce que vos yeux ne mentaient pas. Et puis on ne sait pas pourquoi.

Les heures sonnèrent, pesantes ou argentines, sur les maisons taciturnes et les terrains vagues. Rougemont, dans ces voix passagères, tempus fugit, réentendait les mots de la jeune compagne : « On ne sait pas pourquoi ! » Comment le saurait-on ? Tout acte coule de l’infini ; tout geste naît de gestes innombrables ; tout amour est la petite graine parmi les milliards de graines, la faible soldanelle tombée au gré des tempêtes, des glaciers et des granits.

« Allons, songea-t-il, tandis qu’ils entraient dans le site sinistre où chantiers et demeures semblaient des repaires et des bouges, tâchons de prendre notre part de la durée… et que cette enfant garde un bon souvenir. »