Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/356

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

steamer, accru au rauquement des automobiles, le Voyage suscite des convoitises aussi virulentes que les robes, les dentelles, les perles et les diamants. Sur la terre rapetissée, où agonise le mystère des forêts vierges, où les lacs, les fleuves, le désert, la montagne deviennent une banlieue familière, nous sommes tous saisis d’une suprême exaltation nomade, où se mêle, peut-être, le regret de ce monde qui fut si vaste, si ténébreux et si terrible, avant d’être le petit clos du Genre Humain !

La grande Eulalie avait pris sa part de cette exaltation aux affiches des P.-L.M., des Est, des Ouest, des Nord, des Orléans et dans ces causeries de pauvres filles où germent les semences tombées du feuilleton, du fait divers, de vagues articles sur les villégiatures.

— Où qu’on ira ? fit-elle, encore craintive. Est-ce qu’on verra la mer ?

— On verra la mer, si c’est la mer que tu aimes.

— Oh ! la mer, murmura-t-elle, en extase.

Elle n’avait pu s’en faire une idée. C’était de l’eau bleue, turquoise ou verte selon les affiches ; elle n’ignorait point que cette eau s’agitait sur des étendues prodigieuses ; on voyait encore des rocs, des orangers, des palmiers, du sable, d’étincelantes petites femmes, des pêcheurs et des barques — mais tout de même, elle ne la comprenait pas. D’autant plus l’avait-elle parée d’énigmes et en attendait-elle des miracles.

— Nous irons donc à la mer, dit-il, quoique la saison soit presque finie.

— Mais, demanda-t-elle, méfiante… on ne lui ôte rien, à la fin de la saison ?

— Au contraire, ma grande fille, elle est plus sauvage, elle est mieux chez elle, lorsque les gens s’en vont.

— Vrai, elle est plus sauvage ? Qu’est-ce qu’elle fait ?