Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/359

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avec le cidre, mais sans vin, sans bière et sans liqueurs.

Ces paroles dites, qui le débourraient de soucis, il devint jovial ; la longue Eulalie l’amusait, avec sa tête de bohémienne et son allure de cavale :

— C’est plus la saison ! remarqua-t-il. Mais chacun a son idée, ce qu’est ben juste !

On vit arriver sa femme qui avait la manie des révérences et proférait peu de paroles ; puis la bru dont le corsage semblait contenir deux pains d’un kilogramme. Ensuite, le vieux montra une chambre vaste, basse de plafond, avec des meubles rudes et propres. Elle n’intéressait pas Eulalie, qui épiait la basse-cour peuplée de bêtes sans nombre. Un coq noir, funèbre, fiévreux et vigilant, menait son harpail à la pâture, de hauts coqs blancs élevaient leurs statures martiales, des coqs de bronze, d’émail roux, d’émeraude, balançaient leur crête sanglante au milieu d’une armée de petites femelles sournoises et perverses ; les dindons figuraient des reîtres alcooliques ; des pintades, couleur nuage d’automne, filant devant une escouade d’oies, effaraient la foule voluptueuse des pigeons, aux froufrous ardoise, neige, feuille morte, et l’on apercevait, au delà du grand portail, dans une pièce d’eau hexagone, une compagnie de canards aux costumes brodés, aux becs plats et grotesques.

Mais le plaisir d’Eulalie était furtif et comme suspendu. Elle songeait à la mer, elle ne fut tout à l’heure présente que lorsque François dit :

— Allons la voir !

Ils traversèrent le paysage rude, aux herbes salées, où des bêtes puisaient leur viande ; la falaise soufflait dans sa cornemuse, l’air s’enflait, plein d’une tristesse salubre. Une croix de granit rayait la nuée. Les genêts s’assemblèrent, vite dévorés par les foresticules de l’ajonc, jungle basse de l’ouragan, fleurie de soufre, d’or et de citron. Un incendie