Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/362

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chignon, ivre d’air comme d’une boisson, elle atteignit la vague mourante et s’enfuit devant la vague nouvelle.

« La jeune cavale est heureuse ! » songeait Rougemont.

Lui-même se grisait. Il avait le goût de l’eau vivante, qui palpite et gronde comme une créature. Il lui attribuait une conscience, il y percevait, dans un dédaigneux désordre, et sans souci de cette durée qui est la misère des êtres dits supérieurs, tout ce qui s’ordonne dans la plante, la bête et l’homme. D’innombrables sensations, éteintes et renaissantes, roulaient dans un bouillonnement de vagues, dans un choc de lames ; des intelligences fulgurantes s’éveillaient, suscitées par un conflit et aussitôt éparpillées. Comme notre rythme se prolonge et se répète, nous n’imaginons pas la conscience hors des cohérences et des cycles, mais nos cohérences et nos cycles ne sont qu’une forme ralentie des incohérences et des ruptures de l’élément.

Eulalie avait entendu dire qu’il est délicieux de marcher dans la mer. Elle ôta ses bottines et ses bas, elle leva haut ses jupes, ses cheveux déferlèrent ; elle riait, craintive, lorsqu’une caresse fraîche atteignait ses jambes. Pour leur avoir offert un coin de peau, elle se sentait fille des vagues.

La mer ne montait plus, elle ne descendait pas encore. Elle avait des retours fauves, puis, avec de lents reculs, elle traînait une robe de dentelles sur les galets.

— Viens voir la caverne, dit le révolutionnaire.

Eulalie sortit de l’écume. Elle avait noué ses bas noirs, historiés de rouge, autour de son cou, elle tenait une bottine à chaque main.

Ils contournèrent une roche ronde. Au bord de la caverne, des fucus secs, des coquillages, attestaient que l’eau y pénétrait aux grandes marées.

— C’est comme une église ! fit Eulalie.