Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/366

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volant, puis s’abat avec un cri de sorcière ; les pétrels se ruent voluptueusement à l’assaut de la tempête ; les puces de mer, mêlant des sauts brusques, semblent un essaim de taons ; les crabes dressent des silhouettes de punaises géantes ; la méduse promène son ombrelle de cristal ; l’étoile de mer étale ses membres pierreux, tandis que, finement, les ceintures de Vénus agitent leurs palettes.

Eulalie cueillait des moules, cherchait « une mine d’huîtres », chassait la crevette et dénichait les oursins, pareils à des coques de châtaignes.

Par-dessus tout, elle aimait mêler sa peau au lait tiède de la mer. De toute part, quelque chose la pénétrait, comme si elle avait été absorbée par l’immensité et l’avait absorbée elle-même. La pesanteur avait disparu ; l’eau palpitante versait une capiteuse énergie et la plus fine quiétude. Les gestes sûrs d’Eulalie se combinaient avec l’élément. Elle savait fendre, éviter la vague chaude ou s’y abandonner ; elle goûtait l’image brusque du péril suivi d’une sécurité planante ; elle exprimait sa passion en phrases insignifiantes ou absurdes, auxquelles son geste d’enfant et de sauvagesse donnait un sens plus profond. C’était bien mieux que l’abstraction poétique ou le vague du rêve. La fille aimait l’océan comme on aime le feu, la nourriture, la volupté sexuelle, dans un besoin immédiat de rôder, d’étreindre le flot, de respirer le large, de partager l’agitation intarissable. Elle disait que c’était « bath », mais ce vocable ne signifiait pas positivement que c’était « beau », il dénonçait l’adaptation de l’être avec le milieu, source, si l’on veut, d’art et de poésie, mais combien lointaine ! La vie était là, la vie où tout l’être fermente et s’agite, si proche qu’elle excluait presque la parole.

Ce bonheur amusait François. Il aimait la mer plus mollement, avec des instincts de songerie, d’oubli, d’hygiène. Elle excitait en lui ces regrets mélan-